Chair à fiction

Publié le 23 septembre 2007 Lecture : 3 minutes.

Les romanciers sont-ils à ce point en panne d’inspiration qu’il leur faut trouver des sujets dans la rubrique des chiens écrasés ? La question est de nouveau posée ?en cette période de rentrée littéraire française avec la sortie de plusieurs livres directement inspirés de faits divers. On s’en tiendra à celui qui est dans toutes les conversations pour la raison essentielle que son auteur est la fille de feu l’ancien président François Mitterrand.
Pour écrire Le Cimetière des poupées (Julliard), Mazarine Pingeot semble avoir eu en tête l’affaire Courjault, du nom de cette Française accusée du meurtre de trois de ses enfants nouveau-nés, dont elle aurait conservé les corps dans un congélateur. L’auteur proteste de sa bonne foi, niant avoir songé à ce drame en particulier. D’autant que l’infanticide, affirme-t-elle au Nouvel Observateur, « n’est pas une invention de l’époque moderne, il existe comme on le sait depuis l’Antiquité ».
Une chose est sûre, construire un roman à partir d’un fait divers n’a rien de nouveau. Le Rouge et le Noir de Stendhal, Madame Bovary de Flaubert, pour ne citer que deux grands chefs-d’uvre de la littérature française du xixe siècle, ont pour point de départ un fait divers.
Mais c’est véritablement avec Truman Capote et son célèbre De sang-froid (disponible en poche chez Folio) qu’apparaît, en 1966, une nouvelle forme de littérature. En relatant la folle chevauchée de deux jeunes hommes qui, le 15 novembre 1959, assassinèrent une famille d’agriculteurs du Kansas sans aucun mobile, l’écrivain américain a inventé ce que l’on peut appeler le « roman de non-fiction ». Il s’en tient strictement aux faits et épargne tout commentaire au lecteur.
En France, pour ne parler que de textes récents et d’écrivains connus, Emmanuel Carrère a repris, dans L’Adversaire (POL, 2000), l’histoire ahurissante de Jean-Claude Romand, cet homme qui s’est fait passer pendant des années pour le médecin qu’il n’était pas et qui, plutôt que de devoir avouer la supercherie aux siens, a préféré les faire disparaître.
Détournant le nom d’un célèbre tableau de Magritte (Ceci n’est pas une pipe), les éditions Grasset ont lancé, en 2006, une collection intitulée « Ceci n’est pas un fait divers ». Parmi les premiers ouvrages parus, celui de Philippe Besson revenant sur la mort, en 1984, dans l’est de la France, du petit Grégory (L’Enfant d’octobre), une affaire qui a ému la France pendant de longues années.
Une fois encore, on s’est demandé si la fiction peut s’emparer de tous les sujets. On connaît la formule de Victor Hugo : « Tout est sujet ; tout relève de l’art. » Comme le soulignait récemment Patrick Kéchichian dans Le Monde, c’est une question de délicatesse. Dans le cas du livre de Mazarine Pingeot, l’affaire en cause est à l’état d’instruction, et l’écrivain prend le risque – éthique – d’aviver des plaies encore béantes.
Un reproche qui ne peut être formulé à l’encontre de Jacques Chessex, figure des lettres suisses, dont le dernier roman, Le Vampire de Ropraz, sorti au début de 2007 chez Grasset, met en scène un garçon de ferme profanant les cadavres de jeunes filles. Cette horrible histoire s’est bel et bien déroulée dans le Pays vaudois, mais au tout début du xxe siècle.
Quoi qu’il en soit, dans tous les cas, le livre doit être jugé pour lui-même, sur ses qualités littéraires intrinsèques. Or, pour ce qui est du Cimetière des poupées, elles ne sautent pas aux yeux de tous les critiques

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