Brown contre Mugabe : l’autre vérité

Publié le 23 septembre 2007 Lecture : 4 minutes.

« Ce sera lui ou moi. » Dans un éditorial au vitriol publié le 20 septembre par le quotidien The Independent (lire p. 43), Gordon Brown, le Premier ministre britannique, a placé la barre très haut. Au risque de compromettre la tenue, les 7 et 8 décembre à Lisbonne, du 2e sommet Europe-Afrique, le successeur de Tony Blair a fait savoir qu’il boycotterait cette importante réunion au cas où le président zimbabwéen Robert Mugabe, invité par la présidence portugaise de l’Union européenne au même titre que tous ses pairs du continent, y assisterait. Sur sa lancée, Brown demande aux Européens de resserrer un peu plus le carcan des sanctions qui pèsent sur les dirigeants d’Harare, en étendant aux familles de cent trente et un membres du régime en place – dont Mugabe lui-même – les mesures d’interdiction de séjour et de gel des avoirs déjà décrétées à leur encontre.

C’est la guerre, donc. Ou plutôt la poursuite d’une guerre menée depuis dix ans par Londres contre son ancienne colonie, apparemment pour de bonnes raisons puisque l’ancien freedom fighter mué en autocrate a, c’est entendu, ruiné son pays et muselé son opposition. Pis encore : à 83 ans, il s’accroche au pouvoir comme une huître à son rocher et compte bien briguer, après vingt-huit ans d’exercice, un nouveau mandat l’an prochain. Mais la Grande-Bretagne est-elle la mieux placée pour prendre la tête de cette croisade ? C’est une tout autre histoire.
Retour vers le passé. En 1980, lorsque la Rhodésie du rebelle Ian Smith devient le Zimbabwe, tout va pour le mieux entre Robert Mugabe et les Britanniques. Pour avoir, à l’époque, couvert l’indépendance de ce territoire et interviewé Mugabe, je me souviens à quel point prévalait un respect mutuel entre celui qui était alors Premier ministre et les représentants des cinq mille fermiers blancs qui contrôlaient 75 % des terres. Pendant quinze ans, celui qui prône publiquement, avant même que Mandela puisse le faire, la réconciliation entre Noirs et Blancs, tous Zimbabwéens, va protéger ces anciens colons contre les frustrations de plus en plus vives des paysans sans terre, à la grande satisfaction de Londres. En échange, le Foreign Office et les Premiers ministres successifs, de Thatcher à Major, ferment complaisamment les yeux sur la répression politique au Zimbabwe. En 1984, l’écrasement de la révolte des partisans de Joshua Nkomo au Matabeleland fait ainsi près de vingt mille victimes sans que les Britanniques ne bougent, au nom du principe de non-ingérence.
À partir de 1977, tout dérape. Mal préparée et mise en uvre dans les pires conditions, l’expropriation massive des fermiers blancs d’origine britannique (et titulaires pour la plupart de la double nationalité) met le feu aux poudres. La paranoïa du régime de Harare fait le reste, chaque mise en cause de l’ancienne puissance coloniale suscitant un nouveau durcissement de Mugabe, jusqu’au point de non-retour actuel.

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C’est tout au moins la thèse et la part de vérité que la Grande-Bretagne de Tony Blair a fait admettre à ses alliés américains et européens. Mais il existe une autre version de l’histoire, une face cachée beaucoup moins honorable pour Londres. On ignore souvent qu’aux termes des accords de Lancaster House, en 1979, le gouvernement Thatcher s’était engagé à compenser financièrement l’expropriation progressive des terres « blanches » et leur remise aux paysans noirs, qui constituent la base électorale de Mugabe. Une réforme agraire en douceur, accompagnée par des experts britanniques, était censée encadrer ce processus afin que la production agricole ne s’effondre pas.
Or non seulement ces engagements n’ont jamais été respectés, mais ils ont été dénoncés unilatéralement, six mois après l’arrivée au pouvoir de Blair, par Claire Short, la secrétaire d’État britannique au Développement. Dans une lettre pour le moins provocatrice adressée à Mugabe le 5 novembre 1997, cette dernière écrit : « Nous n’acceptons pas que la Grande-Bretagne ait à prendre une quelconque part de responsabilité financière dans le coût des achats de terres au Zimbabwe. Nous sommes un nouveau gouvernement composé de membres dont aucun n’a de lien avec les anciens intérêts coloniaux. Mes propres origines sont irlandaises et, comme vous le savez, les Irlandais ont été des colonisés, pas des colonisateurs. » Pressé d’agir par des révoltes paysannes, Mugabe accueille cette fin de non-recevoir comme une gifle, une volonté de déstabilisation et une insulte personnelle. Sa réponse est immédiate : les fermiers blancs seront expropriés sans compensations.

Jusqu’où ira ce bras de fer ? Plusieurs observations en guise de réponse. La première est que le sommet de Lisbonne lui-même pourrait être compromis soit par l’absence des Britanniques, soit par celle de plusieurs pays africains soucieux de se montrer solidaires du président zimbabwéen. La seconde est que le deux poids, deux mesures semble être de rigueur à Londres, la Grande-Bretagne n’ayant pas songé une seconde à boycotter le sommet Europe-Asie de Hambourg, en mai, alors même que la Birmanie, une dictature nettement pire que le Zimbabwe, y a pris part. La troisième est que l’on attend toujours une prise de position claire de la prudentissime Union africaine dans cette affaire. La quatrième, enfin, se résume à une question : et si les chefs d’État africains refusaient eux aussi d’assister à tout sommet où siégerait tel ou tel dirigeant censé leur déplaire – George W. Bush par exemple, Ehoud Olmert, Tony Blair hier ou Gordon Brown aujourd’hui – que se passerait-il ?

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