Banque à tout faire

Dix ans après sa création, la Banque tunisienne de solidarité est un franc succès. Sa spécialité : la microfinance.

Publié le 23 septembre 2007 Lecture : 5 minutes.

Dix ans déjà ! Dix ans que le siège de la Banque tunisienne de solidarité dresse sa façade mauve sur l’avenue Mohammed-V, à Tunis. Sa création, le 21 mai 1997, à l’initiative du président Zine el-Abidine Ben Ali, avait pourtant suscité bien des sarcasmes. Encore une promesse politique qui fera long feu ! ironisaient certains opposants. Pourquoi une nouvelle banque sur un marché exigu et déjà très concurrentiel ? s’interrogeaient les plus frileux des banquiers. Aujourd’hui, les uns et les autres doivent convenir qu’ils se sont trompés : à en croire Lamine Hafsaoui, son PDG, la « banque mauve » (couleur préférée du chef de l’État) devrait réaliser cette année son premier exercice bénéficiaire. Pour un établissement dont la vocation n’est pas le « profit d’abord », c’est un exploit largement dû à sa maîtrise des microprojets.
Venue tardivement sur un créneau ouvert par la Grameen Bank, la « banque des pauvres » fondée en 1983, au Bangladesh, par Muhammad Yunus (Prix Nobel de la paix 2006), la Tunisie a pu analyser l’expérience des autres avant de concevoir un modèle qui lui soit propre et tienne compte des activités du Fonds national de solidarité (le fameux « 26-26 »), lancé le 8 décembre 1992.
Première innovation : l’actionnariat. Un appel a été lancé au public pour qu’il souscrive au capital de la BTS en achetant au moins une action à 10 dinars (6 euros). Le succès est phénoménal. Plus de 225 000 Tunisiens sont ainsi devenus actionnaires, avec des apports oscillant entre 10 et 100 000 dinars. L’assemblée constitutive s’est tenue le 22 décembre 1997. Capital initial : 30 millions de dinars (porté depuis à 40 millions).

Seconde innovation : le plafonnement du taux d’intérêt (5 %) et de la durée de remboursement (sept ans). Dans les autres pays, ces éléments clés du microcrédit sont laissés à la discrétion des gestionnaires. Or, qui dit « banque des pauvres » dit conditions de faveur, tant sur les formalités (absence de garantie, facilité d’octroi) que sur les conditions de remboursement. Les taux d’intérêt pratiqués ailleurs sont supérieurs à 10 %, voire à 20 %.
« C’est du mercantilisme, s’insurge Samia Mansour, directrice générale adjointe et responsable du microcrédit à la BTS. Ce n’est pas en pratiquant des taux usuraires que l’on peut faire sortir les pauvres de la pauvreté. Au contraire, c’est le meilleur moyen de les enfoncer en les maintenant dans la dépendance. Partisans du développement durable, nous souhaitons que les gens se prennent en charge afin d’améliorer leurs conditions de vie. » Les organisations non gouvernementales (ONG) voient dans le choix tunisien une volonté d’ingérence de l’État, qui intervient pour bonifier le taux d’intérêt (5 % au lieu de 12 %). « C’est inexact, rétorque Samia Mansour, l’État n’intervient pas dans le processus du microcrédit, qui est entièrement géré par des associations locales de développement. »

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Le rôle de l’État, qui détient 54 % du capital, est de mobiliser les ressources financières (sur son propre budget et celui des fonds spéciaux), tout en veillant à la bonne gestion de la banque, via les autorités de tutelle (le ministère des Finances) et de régulation (la Banque centrale). Le travail de promotion, de soutien et de formation se fait essentiellement au niveau des Associations de microcrédit (AMC), dont le nombre est passé de 69 à la fin de 2002 à 259 aujourd’hui. Issues de la société civile, les AMC emploient surtout des diplômés de l’enseignement supérieur (750). Elles sont tenues d’avoir une comptabilité aux normes et des comptes dûment audités.
La BTS, qui dispose d’un staff de deux cents personnes, est présente dans les vingt-quatre gouvernorats (préfectures) du pays. « Ses ressources provenant de la solidarité, elles sont utilisées pour des actions de solidarité. C’est en somme une solidarité au carré. Nous sommes sûrs de nos choix et comptons à l’avenir modéliser notre système pour le rendre exportable », explique Hafsaoui, en réponse aux ONG étrangères, qui militent pour que l’État coupe tout lien avec la banque.
En dix ans, la BTS s’est transformée. Le nombre des opérations réalisées par le département des microcrédits, dont la vocation est d’aider des « personnes économiquement faibles » à lancer un projet productif (création d’une source de revenu) ou à améliorer les conditions de vie (logement), est passé de 25 000 en 2002 à 62 000 en 2007. Et leur valeur de 18 millions à 62 millions de dinars. À la fin août, il avait accordé 257 101 microcrédits d’un montant total de 209 millions de dinars, soit une moyenne de 800 dinars (470 euros) par personne. Les prêts sont remboursables sur une durée moyenne maximale de trois ans, avec un taux d’intérêt de 5 %. « L’impact économique et social de cette activité est considérable, dit encore Hafsaoui. En réalisant son projet, le bénéficiaire fait travailler le menuisier, le commerçant ou le transporteur du coin. Il participe ainsi à la création d’une dynamique économique. »
Quant au département des microprojets, que dirige Hafedh Gharbi, ses opérations profitent aux jeunes promoteurs, notamment les diplômés de l’enseignement supérieur, qui, grâce à un prêt d’un montant maximum de 80 000 dinars, ont la possibilité de lancer « un projet économique viable » sans autres conditions que son « sérieux ». La BTS et d’autres institutions se chargent de financer les études, d’assurer la formation et le suivi. Entre 1998 et 2007, le volume de ses financements est passé de 30 millions à 70 millions de dinars, avec un décaissement total, à ce jour, de 400 millions de dinars alloués à 60 000 projets « actifs ».
Une nouvelle génération de microprojets est en train de voir le jour en liaison avec des investisseurs étrangers. Avec l’aide de la BTS, des producteurs de tomates vont, par exemple, se charger d’approvisionner une usine de fabrication de tomates séchées destinées à l’exportation. Tandis que des collecteurs de déchets « verts » (provenant de l’élagage des arbres) fourniront une entreprise de biocombustible Les besoins financiers pour le microcrédit sont évalués à 150 millions de dinars par an. La BTS ne fournit actuellement que la moitié de cette somme, alors qu’elle satisfait 100 % de la demande des microentreprises. Bientôt, cent mille diplômés sortiront chaque année des universités tunisiennes (contre 60 000 aujourd’hui). Autant de clients potentiels pour la BTS, dont la politique de « micro-investissement » pourrait jouer un rôle important dans la nouvelle stratégie de développement définie par la Tunisie pour la période 2007-2011.

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