Ainsi va le monde

Publié le 23 septembre 2007 Lecture : 3 minutes.

« Longtemps, je n’ai pas voulu retourner en Algérie. » Non, ce n’est pas la première phrase d’un roman à la tonalité proustienne. Ces mots fusent d’une revue en apparence trop sérieuse pour verser dans la littérature. Ils font partie d’un témoignage personnel, un cri du cur, la confession d’un enfant du siècle aux prises avec son enfance algérienne, j’ai nommé Jean Daniel.
Que les littéraires comme moi se rassurent. Qu’ils ne croient pas que La Revue ne s’occupe que d’analyses économiques, qu’elle a une prédilection pour les chiffres, une tendance à aligner le bilan des catastrophes du monde plutôt que de dérouler la chronique de ses belles pages d’histoire et de ses événements fantastiques.

Ce dixième numéro semble confirmer la vocation d’un périodique décidé à initier une compréhension intelligente des mécanismes du pouvoir et des finances, mais aussi à jeter sur nos contemporains un regard passionné. Le sommaire va de l’Algérie à l’Amérique, des camps terroristes aux récits de voyage et aux évolutions technologiques. Avec un condensé sur le phénomène des kamikazes, qui se lit comme un thriller. Il y est question, en effet, du profil des candidats au martyre « shootés au djihad », de leurs liens avec le mouvement de Ben Laden, dont l’extension se trouve désormais assurée par Internet. Le tout décrypté par le sociologue marocain Abdallah Rami, dont le parcours comme le savoir sur le djihadisme sont édifiants.
Après l’enquête, il y a l’analyse, celle que nous livre l’auteur du Chaos russe, Jacques Sapir, sur l’échec grandissant des Américains à maîtriser la globalisation financière. Mais aussi l’oasis du cur, le « je » du registre intime. Tel est le ton de la rubrique « Déjeuner avec », savourée en compagnie du célèbre chorégraphe des arts équestres, le flamboyant Bartabas. « Une vie en un jour » offre au lecteur une page du quotidien qui a tout du document sociologique. Pour l’occasion une femme de la communauté amish, aux États-Unis, raconte un quotidien rythmé par des traditions séculaires, la chronique d’un destin individuel qui se fond dans l’histoire collective.
Sans oublier l’économie, la diplomatie chinoise, les innovations écologiques du parc automobile et de « l’infiniment petit », les progrès des machines de commande et autres nouveautés époustouflantes expliquées avec tant de simplicité que même les novices se laissent séduire

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Rupture de ton avec Nicolas Michel, qui retrace de sa plume d’écrivain l’itinéraire des nouveaux globe-trotters, pendant qu’un autre romancier, d’Orient celui-là, le Turc Nedim Gürsel, joue pour nous les envoyés spéciaux dans un quartier de Berlin à forte population immigrée.
Les photos prennent le relais, squattent la page, et racontent mieux que les mots : la Russie de Poutine vue par Sergey Maximishin, lauréat du World Press de la photographie, se décline en képis et en bas résille, en yacht pour riches et en abris pour enfants abandonnés. Puis, ça crépite de nouveau, Philippe Gaillard rend vie aux langages des anciennes radios ; Dominique Mataillet se livre à son dada, compter les populations des continents ; les lecteurs donnent de la voix, eux aussi.
C’est là que prend fin ce tour du monde lucide et ému, ce voyage entre les révolutions fracassantes de notre époque et ses évolutions ténues, entre les progrès fulgurants et les quotidiens millénaires, entre le bruit des conquêtes périlleuses et le silence des souvenirs nostalgiques. Alors, on referme La Revue et l’on se met à attendre le numéro suivant. Pas longtemps. Dans deux mois à peine, nous pousserons à nouveau cette fenêtre, unique en son genre, sur la planète Monde.

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