Loin du Liban la révolte gronde

Comment la Ligue arabe a décidé de ne rien faire…

Publié le 23 juillet 2006 Lecture : 4 minutes.

Dans un article publié sur le site oumma.com sous le titre « Ces poltrons qui dirigent le monde arabe », Saïd Branine rappelle cette phrase prémonitoire de Lawrence d’Arabie, extraite d’un mémorandum adressé à sir Edouard Gret, ministre britannique des Affaires étrangères, en 1916 : « L’activité du Chérif Hossein semble s’exercer à notre avantage. En effet, elle vise nos objectifs immédiats : l’éclatement du bloc islamique, et la défaite et le démembrement de l’Empire ottoman. D’ailleurs, les États que [le Chérif] créerait pour remplacer les Turcs seraient aussi inoffensifs à notre égard que la Turquie l’était elle-même […]. Les Arabes sont encore plus instables que les Turcs. Si nous savons nous y prendre, ils resteront à l’état de mosaïque politique, un tissu de petites principautés jalouses, incapables de cohésion. »
Dans ce billet d’humeur, le directeur de oumma.com s’insurge, en des termes peu amènes, contre « les chefaillons d’État, roitelets et autres émirs d’opérette que compte la Ligue arabe », « lâches parmi les lâches, veules parmi les veules », « sans honneur ni dignité », « cruels avec les faibles et serviles avec les puissants »…
Ces dirigeants, « qui se disputent le statut de favorite dans le harem de Bush », ont fait « une démonstration d’incompétence et d’impuissance sans précédent dans l’histoire contemporaine du Proche-Orient », en assistant « avec un lâche contentement à l’agression d’un des leurs », écrit Branine, faisant allusion à l’invasion de l’Irak par les Américains en 2003 et aux bombardements actuels de Gaza et du Liban par Israël. Cette diatribe, dont le ton est un peu plus acerbe que ce qui s’écrit depuis une semaine dans la presse arabe, exprime un sentiment de colère partagé par 300 millions d’Arabes.

Par ailleurs, les échanges entre les ministres arabes des Affaires étrangères, qui ont filtré de leur réunion du 15 juillet, au siège de la Ligue arabe, au Caire, soulignent encore plus le fossé qui sépare désormais les peuples arabes de leurs dirigeants. Et vice versa…
« Dans l’avion entre Damas et Le Caire, j’ai vu des bâtiments de guerre israéliens tirer des missiles contre des villes libanaises. J’ai rêvé que la réunion ministérielle déboucherait sur un soutien du Liban et du Hezbollah. Ce que j’ai pu entendre, jusque-là, de la part de certaines parties ne me rassure pas quant à cette issue », a déclaré le chef de la diplomatie syrienne, Walid al-Moallam. Le Saoudien Saoud al-Fayçal, dont le pays était visé par cette critique, a réagi vivement, en qualifiant de « satanique » le « rêve » de Moallam. Volant au secours de son homologue du Golfe, le ministre koweïtien des Affaires étrangères Mohamed al-Sabbah a lancé, à son tour, en direction de Moallam : « Nous ne pouvons pas laisser la conduite des affaires à des organisations comme le Hamas et le Hezbollah. » Et au chef de la diplomatie qatarie Hamad al-Thani, qui a rappelé la nécessité de répondre aux attentes de la rue arabe, Sabbah a répliqué, tout aussi sèchement : « De quelle rue arabe parlez-vous ? De celle-là même qui a scandé les noms de Saddam Hussein et d’Abou Moussab al-Zarqaoui, alors qu’ils étaient dans l’erreur ? »
Cette « rue arabe », justement, dont les dirigeants essaient aujourd’hui d’ignorer l’humeur cyclique, oscillant entre affliction et révolte, a succombé encore une fois à ses vieux démons en scandant au cours des manifestations organisées la semaine écoulée à Amman, Tunis, Le Caire, Koweït-City, Bagdad, Khartoum, Damas et Manama, les noms des deux « têtes brûlées » du moment, Ismaïl Haniyeh et Hassan Nasrallah, chefs respectifs du Hamas et du Hezbollah.
Simple provocation ? Expression d’un profond désenchantement ? Pas seulement. Car, lorsque le sunnite Mahdi Akef, guide des Frères musulmans égyptiens, appelle les musulmans à soutenir le mouvement chiite libanais et fait l’éloge de son chef, on peut estimer que la région est en train de vivre un bouleversement idéologique dont l’Iran est le seul, pour l’instant, à tirer profit. À lire les commentaires de la presse arabe, on retire même l’impression que le leadership régional est en train de se déplacer des grandes capitales arabes vers… Téhéran.

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À ce tropisme iranien, pour le moins inattendu – tant le contentieux historique entre Arabes et Persans est profondément ancré dans la conscience des deux blocs -, Riyad et Le Caire ont tenté d’opposer une certaine résistance, que le célèbre chroniqueur Abdelbari Atwan n’a pas hésité à tourner en dérision : « Les régimes égyptien et saoudien ont voulu nous faire croire que la résistance islamique au Liban sert les intérêts de l’Iran. Cela est peut-être vrai. Mais quel mal y a-t-il à cela ? L’agenda islamique iranien n’est-il pas plus digne et plus en phase avec les intérêts des Arabes que l’agenda américano-sioniste de ces deux régimes-là ? » (Al-Qods du 17 juillet.)
Dans son éditorial du lendemain, le quotidien londonien avance ce pronostic nullement fantasque : « Israël ne sortira pas vainqueur de cette guerre. Le Hezbollah n’en sortira pas vaincu. Mieux, son leader, Hassan Nasrallah, est en passe de devenir l’un des dirigeants les plus populaires et les plus respectés [du monde arabe]. Car il a démontré sa capacité à conduire la guerre, à faire face à l’agression et à rendre coup pour coup. »

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