Hassan Nasrallah
Le chef charismatique du Hezbollah réserve des « surprises » et tient parole
Pour bon nombre de Libanais, en particulier la communauté chiite (40 % de la population), pour la grande majorité des Palestiniens lasse des querelles de leurs dirigeants et pour l’essentiel de ce qu’on appelle par commodité la rue arabe, ce petit homme barbu et replet de 46 ans au regard espiègle derrière ses lunettes de myope est un authentique héros. Un vrai résistant capable de tenir tête à Tsahal et de venger les humiliations subies, une source d’imitation pour les millions d’orphelins de Nasser, d’Arafat et de Khomeiny. Le job du cheikh Hassan Nasrallah est l’un des plus dangereux qui soient au Proche-Orient : secrétaire général du Hezbollah, le Parti de Dieu, en guerre contre Israël et tenu par les États-Unis pour une « organisation terroriste », au même titre qu’al-Qaïda.
Patron incontesté depuis quatorze ans d’une formation disciplinée, aguerrie et structurée à l’image d’une contre-société, Nasrallah est l’un de ceux qui détiennent les clés de cette région poudrière. Un mot de lui et tout s’embrase. Or, ce mot, le cheikh l’a sans doute prononcé lorsqu’il a donné, le 12 juillet, l’ordre d’enlever deux soldats israéliens sur la frontière, afin qu’ils servent de monnaie d’échange pour la libération de détenus palestiniens et libanais. Mot juste ou mot de trop ? Une chose est sûre : le sayyed (descendant du Prophète) Nasrallah joue ce qui ressemble à un va-tout.
Qui est cet homme dont chacun, y compris ses ennemis, s’accorde à reconnaître l’habileté, l’intelligence politique, le sens aigu de l’organisation, les talents d’orateur et le charisme ? Hassan Nasrallah est né à Beyrouth-Est en août 1960 dans une famille très modeste originaire du Sud-Liban. Il a huit frères et surs, et son père, un petit épicier, affiche des sympathies pour le Baas syrien. Son environnement n’a donc rien de particulièrement religieux, mais le jeune Hassan fréquente très tôt les mosquées, en particulier celles où officie l’imam Moussa Sadr. À l’âge de 15 ans, il adhère au Mouvement des déshérités fondé par Sadr pour exprimer la révolte des chiites misérables du Sud-Liban. L’année suivante, en 1976, il se rend à Nadjaf, la ville sainte irakienne du chiisme mondial, muni d’une lettre de recommandation d’un théologien libanais.
Présenté au grand ayatollah Bakr el-Sadr, qui l’accueille dans son séminaire, Hassan Nasrallah se lie d’amitié avec l’un de ses condisciples, qui est aussi son compatriote : Abbas el-Moussaoui, le futur fondateur du Hezbollah. Un jour de 1977, l’étudiant Hassan fait à Nadjaf la rencontre de sa vie : l’ayatollah Khomeiny. « Auprès du Guide, dira-t-il plus tard, le temps et l’espace n’existaient plus. Il irradiait. » Manifestement contaminé, Nasrallah en conçoit un rêve, qui le poursuit encore aujourd’hui : devenir lui aussi, un jour, un ayatollah, et pourquoi pas un ayatollah marjaa, guide religieux suprême du peuple chiite.
En 1978, Saddam Hussein lance une vaste opération destinée à liquider les principaux dignitaires de l’aristocratie chiite. Comme des milliers d’étudiants, Hassan fuit l’Irak et regagne le Liban. Cette même année, l’imam Moussa Sadr disparaît mystérieusement en Libye après avoir transformé son mouvement en une organisation de combat : le parti Amal. Nasrallah y adhère, mais n’y trouve pas son compte. Sa fréquentation du théologien radical Mohamed Hussein Fadlallah – qui légitimera les premières opérations kamikazes au début des années 1980, ainsi que les prises d’otages – le convainc de la nécessité de la lutte armée. Entre 1982 et 1985, aux côtés de son ami Moussaoui, il participe à la gestation puis à la fondation du Hezbollah et de sa branche militaire, la Résistance islamique. L’Iran de Khomeiny donne sa bénédiction et envoie dans la plaine de la Bekaa un millier de Pasdarans former le noyau dur de la Résistance, laquelle s’engage aussitôt dans le combat contre l’armée israélienne, qui occupe le sud du Liban depuis 1978.
Membre du Comité central du Hezbollah et l’un de ses délégués régionaux, Hassan Nasrallah enseigne dans une école religieuse de la région de Baalbek et effectue, à la fin des années 1980, un stage de quelques mois à Qom, la métropole du chiisme iranien. Son heure vient le 16 février 1992 de la manière la plus tragique qui soit. Ce jour-là, sur une route du Sud-Liban, un hélicoptère israélien tire une salve de roquettes meurtrières sur un véhicule dans lequel avaient pris place Moussaoui, son épouse et leur fille de 3 ans. Il ne faut que quelques jours au Hezbollah pour élire un nouveau secrétaire général – et à l’Iran pour l’adouber. Ce sera Hassan Nasrallah.
Le cheikh a alors 31 ans. Sous sa houlette, le Hezbollah, qui avait déjà introduit dans la région les attentats kamikazes, va peu à peu se transformer en un mouvement dont les capacités dépassent de loin celles des guérillas classiques. Dans sa guerre multiforme et inventive contre Tsahal et ses supplétifs de l’armée du Liban-Sud, la Résistance islamique innove : bombes télécommandées, assauts filmés puis diffusés sous forme de cassettes, enlèvements, brouillage électronique À partir de 1995, le Hezbollah mène en moyenne cinq cents opérations par an contre les forces d’occupation. Israël, qui a perdu près de mille hommes en vingt années de sale guerre, finit par céder en mai 2000. Pour Nasrallah, le retrait de Tsahal du Liban est une victoire éclatante, un baume aussi sur une cicatrice indélébile. Son fils aîné, Hadi, est mort en 1997 les armes à la main au cours d’un accrochage avec les forces israéliennes. Il avait 18 ans. Quand on lui a rapporté la nouvelle, le cheikh s’est dit fier de ce martyr, il a exigé des félicitations plutôt que des condoléances et n’a rien modifié de son emploi du temps de la journée. Ce n’est que bien plus tard qu’il avouera combien son aîné lui manque.
Contrairement au mouvement Amal, directement instrumentalisé par la Syrie, le Hezbollah a pris soin, tout au long des années 1980 et 1990, de ne pas s’immiscer dans les sanglantes querelles libano-palestiniennes. Tout au contraire, Moussaoui puis Nasrallah cultivent une solidarité active avec l’OLP, puis avec le Hamas, au nom de la communauté d’intérêts entre ceux que l’imam Moussa Sadr appelait « les déshérités de leurs terres et les déshérités dans leurs terres ». Ainsi, lorsque le cheikh parvient, en janvier 2004, à négocier avec Israël un spectaculaire échange de prisonniers (450 détenus arabes et 60 dépouilles contre 1 prisonnier juif et 3 dépouilles), la majorité des détenus libérés sont des Palestiniens. Le discours qu’il prononce à cette occasion à Beyrouth, derrière une vitre blindée et devant 500 000 Libanais, est suivi avec passion dans les territoires occupés. De Gaza à Ramallah et, bien sûr, partout au Liban, son visage apparaît dans les rues, en fond d’écran d’ordinateurs, sur les porte-clés et les cartes téléphoniques. Des extraits de ses discours tiennent lieu de sonneries pour cellulaires et de cassettes musicales dans tous les taxis du Sud-Liban. Nasrallah n’est plus le simple chef d’un mouvement chiite lié à l’Iran. Il est devenu un héros arabe.
De 2000 à 2006, le Hezbollah conforte sa position d’État dans l’État en mettant en place, à travers tout le sud du Liban et la banlieue sud de Beyrouth, un impressionnant réseau d’écoles, de dispensaires, de fermes et d’ONG de toutes sortes. Une radio – En-Nour – et une télévision – Al-Manar – voient le jour en 2000. Partout, le mouvement rend la justice, distribue des médicaments, assure l’approvisionnement en eau potable, scolarise les enfants. Militairement, la Résistance islamique se structure autour d’un noyau dur d’un millier de professionnels encadrant cinq fois plus de volontaires, mobilisables en quelques heures. L’Iran lui fournit des lance-roquettes et des missiles Fadjr et Zelzal capables de frapper à l’intérieur d’Israël ainsi que quelques drones de combat. Selon les services de renseignements occidentaux, l’aide financière directe de Téhéran au Hezbollah est de 100 à 200 millions de dollars par an, celle de la Syrie se limitant à des envois d’armes légères et semi-lourdes.
Depuis son quartier général et sa petite maison du quartier d’Hareit Hreik à Beyrouth – l’un et l’autre ont été détruits lors des récents bombardements israéliens -, où il vit avec sa femme et ses trois enfants, Hassan Nasrallah règne sans partage sur ce que ses ennemis appellent « la pieuvre Hezbollah ». L’organisation a le culte du secret, de la sécurité et de l’étanchéité : il est très difficile d’en pénétrer les cercles dirigeants. Tout entier voué à son combat contre Israël – dont il ne reconnaît pas l’existence -, le cheikh a pour livres de chevet les Mémoires d’Ariel Sharon et de Benyamin Netanyahou, ainsi que tous les ouvrages traduits en arabe concernant le Mossad et Tsahal : « Pour vaincre l’ennemi, il faut se mettre à sa place et se pénétrer de ses valeurs », explique-t-il.
Qui paie commande, dit-on. L’Iran « radical » de Mahmoud Ahmadinejad est-il le maître de Hassan Nasrallah ? La réalité est complexe. Incontestablement, au niveau religieux et sur les grandes orientations, le très fidèle cheikh Nasrallah ne peut que suivre les avis du Guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei. Sa condamnation des attentats du 11 Septembre, ses anathèmes contre al-Qaïda et les talibans, son entrée au sein du gouvernement et du Parlement libanais (deux ministres et douze députés), les manifestations de soutien au régime de Damas organisées lors du retrait forcé des troupes syriennes, tout cela a vraisemblablement été coordonné avec Téhéran.
Mais imaginer le Hezbollah en simple marionnette des mollahs serait une erreur. Le mouvement dispose d’une autonomie politique réelle qui lui permet de tenir le plus grand compte des réalités libanaises. Ainsi, Nasrallah a veillé à ce que la libération du Sud, en 2000, ne soit suivie d’aucune épuration violente à l’encontre des collaborateurs libanais d’Israël. S’il approuve (et commandite) les actions kamikazes, il « exhorte » les futurs martyrs à ne viser que l’appareil militaire israélien et – si la mort collatérale de civils est inévitable – à éviter « à tout prix » que des enfants, des femmes et des vieillards soient atteints. Enfin, le cheikh ne perd pas une occasion de rappeler sa position sur l’instauration d’une République islamique au Liban. Certes, il s’agit là du but ultime de son combat, inscrit noir sur blanc dans la charte fondatrice du Hezbollah publiée en 1985. Mais, « compte tenu de la diversité religieuse » du pays, cette perspective « n’est pas à l’ordre du jour ».
En décidant l’enlèvement de deux soldats israéliens, Hassan Nasrallah a-t-il agi sur ordre, sur suggestion ou en concertation avec ses alliés iranien et syrien ? Une chose est sûre : en faisant cela, il a profondément radicalisé les opinions à son sujet. Ceux qui l’admiraient le vénèrent et ceux qui le craignaient le haïssent. Aux Libanais effondrés, le cheikh disait récemment de ne pas s’inquiéter pour la reconstruction de leur pays, car, ajoutait-il, « nous avons des amis qui sont prêts à nous aider ». C’est sans doute vrai en ce qui concerne l’Iran. Reste à savoir si celui qui est désormais la cible numéro un d’Israël – et que le vice-Premier ministre israélien Shimon Pérès, dans un moment d’égarement, a qualifié de « fou politique de premier ordre » – survivra au déluge de feu qu’il a déclenché en lançant son opération. Le nom de code donné par le Hezbollah à cette dernière résume d’ailleurs à merveille le caractère de cet homme malin et obstiné, courageux et secret : « Parole tenue ».
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