Trois évolutions

Publié le 23 avril 2006 Lecture : 5 minutes.

« Ce qui change en profondeur change lentement. » Si lentement que l’il le plus exercé et l’esprit le plus alerte peuvent ne pas percevoir le changement ou l’évolution.
J’ai choisi trois évolutions, d’inégale importance et peu médiatisées, pour vous les soumettre. Elles concernent trois des cinq continents et, si elles vont à leur terme, en modifieront l’équilibre.

1. En Asie, selon le fondateur de Singapour, Lee Kwan Yew, qui connaît son continent mieux que personne, de sorte qu’il en est le meilleur observateur, « l’évolution la plus marquante que cette partie du monde ait connue au cours des dernières années est le rapprochement entre l’Inde et la Chine. Il est très important que ces deux très grands pays, qui rassemblent 40 % de la population mondiale, aient décidé de régler leurs problèmes frontaliers, et ils sont en train d’y parvenir.
Il est même question d’un traité de libre-échange entre ces deux géants.
Il s’agit là d’un développement très important, car les Américains veulent aujourd’hui inclure l’Inde dans leur vision de l’équilibre global.
Sans doute les Américains espèrent-ils que, une fois devenue une puissance mondiale, l’Inde se rangera de leur côté. Elle ne le fera pas. »
Lee Kwan Yew ajoute : « Les Américains ne peuvent espérer davantage que ce que les Russes ont obtenu, c’est-à-dire un certain soutien, mais pas un appui inconditionnel qui serait susceptible de brouiller l’Inde avec la Chine.
Les Indiens ont leur propre vision du développement dans cette partie du monde. Ils savent qu’historiquement l’Asie du Sud-Est et l’Indochine représentent le point de confluence entre les civilisations indienne et chinoise »

la suite après cette publicité

2. En Amérique du Nord, plus précisément aux États-Unis, les sondages d’opinion les plus récents signalent une évolution très importante de la pensée dominante des Américains, ou plus exactement de leur humeur, au sujet des relations de leur pays avec l’étranger. George W. Bush ?lui-même sera obligé d’en tenir compte dans les mois qui viennent et d’infléchir sa politique extérieure pour aller dans le sens souhaité par ses concitoyens.
Plus sûrement encore, l’élection de son successeur – on commencera à en parler dans moins d’un an – sera largement influencée par ce « nouveau cours ».

Ceux d’entre nous qui connaissent les États-Unis et s’intéressent à leur politique savent (au moins) deux choses :
– les dirigeants de cette grande démocratie subissent le diktat de leur opinion publique, formulé dans les sondages, dont ils tiennent le plus grand compte (beaucoup plus qu’on ne le fait ailleurs) ;
– les Américains, ceux d’entre eux qui font l’opinion publique, sont tiraillés entre deux tentations opposées auxquelles ils cèdent tour à tour : l’interventionnisme auquel les pousse la puissance des États-Unis, et l’isolationnisme que leur permettrait l’extraordinaire richesse de ce grand pays.
Ils sont interventionnistes quand domine en eux le sentiment que le monde a besoin d’eux et qu’il ajoute à leur richesse ; ils cèdent à la tentation de l’isolationnisme et du repli lorsque prévaut parmi eux, à l’inverse, l’idée que, tout compte fait, ils n’ont besoin de personne.
C’est ainsi qu’à la fin de 1989, au terme de la guerre froide, dont ils sont sortis vainqueurs mais fatigués, ils ont connu une forte mais courte poussée d’isolationnisme (contrecarrée dès 1991 par la première guerre du Golfe).
Provoqués par al-Qaïda et agressés le 11 septembre 2001 dans leurs deux villes phares, ils sont redevenus du jour au lendemain furieusement interventionnistes, ce qui a permis à Bush, Cheney et Rumsfeld de les entraîner dès 2003 dans l’invasion de l’Irak

Eh bien, en ce mois d’avril 2006, trois ans après avoir cru que leur pays avait facilement gagné la guerre d’Irak, et s’apercevant qu’il était au contraire embourbé dans un nouveau Vietnam, ils sont à nouveau saisis par la tentation isolationniste : « Occupons-nous de nos propres affaires et laissons les autres pays se débrouiller sans nous », dit une partie grandissante des Américains.
Deux sur trois déclarent vouloir que les troupes américaines évacuent l’Irak et rentrent aux États-Unis. Et le même pourcentage pense que les États-Unis devraient tourner le dos au commerce international et à la mondialisation : de plus en plus d’Américains – c’est très nouveau – voient dans l’actuel développement des échanges commerciaux une menace pour l’emploi aux États-Unis !
Le graphique ci-contre montre l’ampleur de l’évolution intervenue en tout juste trois ans : l’isolationnisme est passé de 33 %, moins du tiers des sondés, à 46 %, près de la moitié !
Les Américains ont vraiment pris conscience de leur échec en Irak – et des limites de leur puissance.

3. La troisième grande évolution a pour théâtre le continent africain. Nous y consacrons le « Plus » qui occupe le centre de ce numéro : c’est la réémergence en cours, le retour à la vie d’un des plus grands et des plus riches pays d’Afrique (en ressources, mais aussi en hommes et femmes) : la République démocratique du Congo (RDC).
Ex-Congo-Kinshasa (de 1960 à 1971), ex-Zaïre (de 1971 à 1997), la RDC a connu, depuis 1960, date où le pays s’est libéré de la lourde mainmise belge, une histoire tumultueuse.
Écrite par quelques hommes qui ont pour noms Patrice Lumumba, Joseph Kasavubu, Moïse Tshombé, Cyrille Adoula, cette histoire a été confisquée à partir de 1964 par le sergent Joseph-Désiré Mobutu, qui s’octroiera, au fil des ans, les titres de colonel et de général, et s’élèvera même, sans craindre le ridicule, à la dignité de maréchal.
Il aura eu le grand mérite d’unifier le pays, mais restera dans l’Histoire comme l’homme qui l’a mis en coupe réglée.

la suite après cette publicité

Ce grand pays africain occupe une place de choix au sud du continent. Aussi vaste que l’Algérie (2 348 000 km²), mais plus peuplé et plus riche, il s’apprête, en ce mois d’avril 2006, à faire son retour dans l’histoire africaine et mondiale (voir pages 45 à 69).
Il en était sorti dans les dernières années du régime Mobutu, qui ont vu l’État se désintégrer progressivement. Chassé du pouvoir en mai 1997, malade, le « maréchal » s’enfuira de sa capitale et mourra en exil.
Son tombeur, Laurent-Désiré Kabila, sera assassiné en janvier 2001 ; il n’aura eu ni le temps ni les moyens de reconstruire l’État dont il a hérité, et c’est le pays lui-même qui sera envahi, occupé, et même dépecé.

La RDC est-elle en train de sortir de la crise, cette fois pour de bon ?
Beaucoup de signes, dont l’engagement massif de la communauté internationale et l’implication réelle de l’Union africaine, permettent de le penser.
Mais, à la fin des fins, ce sont les Congolais, et les dirigeants qu’ils vont élire dans moins de cent jours, qui feront la réussite ou l’échec de ce retour dans l’Histoire et sur la scène africaine.
Condition nécessaire et suffisante pour que le succès soit au rendez-vous : que les dirigeants, ou à tout le moins la plupart d’entre eux, pensent qu’il est dans leur intérêt, à long terme, de servir leur pays au lieu de s’en servir.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires