Scènes de campagne

À deux mois du scrutin, 33 candidats à la présidentielle et plus de 9 500 aux législatives se sont déjà lancés dans la bataille électorale.

Publié le 23 avril 2006 Lecture : 7 minutes.

La date du scrutin n’est pas encore définitivement connue que déjà tous les candidats sont sur le pont. Leurs partisans sont mobilisés, les slogans sont au point, les affiches sont prêtes. Le 17 avril, le rapporteur général de la Commission électorale indépendante (CEI) a officiellement lancé la campagne pour la présidentielle. Elle doit durer deux mois, le temps pour les 33 candidats validés par la CEI de sillonner le territoire national pour expliquer leurs projets de société. Chacun d’eux se verrait bien gagner la course pour s’asseoir dans le fauteuil de chef de l’État. Si certains en rêvent tout haut, la plupart savent qu’ils n’ont pas la moindre chance. Mais ils font tout pour se montrer à leur avantage et négocier, le moment venu, leur ralliement. Les Congolais ne manqueraient pour rien au monde ce spectacle. Car il s’agit de la compétition la plus attendue des quarante dernières années : les premières élections présidentielle et législatives libres jamais organisées dans le pays. C’est aussi, et surtout, l’espoir de tourner enfin la page après trente-deux années de dictature mobutiste suivies de deux guerres sanglantes et d’une transition politique onéreuse dont ils n’ont tiré aucun fruit, hormis la satisfaction de la paix revenue.
La communauté internationale, qui dépense près de 1 milliard de dollars chaque année pour assurer la sécurité de ce territoire immense, veille au grain en priant pour que la campagne électorale ne sombre pas dans la violence L’hypothèse est d’autant plus redoutée que l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le principal parti d’opposition, a décidé de s’abstenir, en dépit des demandes pressantes et répétées des plus hauts dirigeants politiques de la planète. Une nouvelle fois, son président, Étienne Tshisekedi wa Mulumba, 73 ans, l’opposant emblématique au régime de Mobutu, prive son mouvement d’échéance électorale. Un refus motivé par un supposé manque de transparence dans la préparation du scrutin et la non-satisfaction de ses revendications, comme la réouverture des bureaux d’enregistrement de ses militants et leur participation au processus électoral. Ce qui laisse une partie de ses cadres et de ses militants dans un grand désarroi. « Après le 30 juin, on va prendre d’assaut la rue, promettent les Parlementaires debouts, ses plus farouches partisans, rassemblés non loin de sa villa dans le quartier de Limete à Kinshasa. Vous, les Français et les Belges, on va vous tuer. Nous sommes aussi patriotes que les Ivoiriens ou les Zimbabwéens. »
Selon ses adversaires, le sphinx de Limete refuse de se présenter pour ne pas subir une défaite cuisante. La communauté internationale craint surtout que Tshisekedi ne jette de l’huile sur le feu et fasse en sorte de pourrir la campagne. Sa défection ouvre en tout cas un boulevard pour le président Kabila, qui a décidé de se présenter comme indépendant. Pour l’état-major du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), son principal soutien politique, la victoire, incertaine dans le cas d’une candidature du vieux lion du Kasaï, devient envisageable. À condition de rallier une partie des nombreux autres candidats. « Notre ambition est de gagner au premier tour, se prend à rêver Vital Kamerhe, le secrétaire général du PPRD. Plus de quinze partis ont déjà appelé à voter pour Joseph Kabila. » Celui qui fait dorénavant figure de grandissime favori possède un grand réservoir de voix à Kinshasa, dans le Katanga et le Kivu. Plusieurs arguments plaident en sa faveur : ses caisses de campagne sont pleines, la communauté internationale, les États-Unis, la Belgique et la France en tête, en font discrètement leur poulain, et beaucoup de ses compatriotes lui attribuent le retour à la paix. Kamerhe et le PPRD ne laissent rien au hasard. Onze provinces ont déjà été visitées, les dons affluent et les promesses fusent
Autre candidat à avoir devancé le lancement officiel de la campagne, Jean-Pierre Bemba, le leader des ex-rebelles du Mouvement de libération du Congo (MLC). Devenu politicien dans les circonstances de la lutte contre le régime de Laurent-Désiré Kabila, le fils de Jeannot Bemba Saolana, homme d’affaires renommé, ne manque pas de moyens financiers. Disposant comme son père du sens des affaires, Bemba est présent dans la téléphonie, l’immobilier, les médias et le transport aérien. Ce qui constitue un atout supplémentaire quand il faut faire campagne dans un pays immense (cinq fois la France, par exemple) et largement dépourvu d’infrastructures routières. Le chef de file du MLC souhaite proposer aux Congolais un projet d’inspiration libérale et un retour à la souveraineté nationale. Pour les barons de ce parti, l’actuel président est la marionnette de l’Occident et le jouet d’un entourage politico-mafieux. Ils ne se font pas beaucoup prier pour mettre en doute la « congolité » de Kabila et ses diplômes américains : « Sa mère est rwandaise. Il n’est donc pas le fils de Laurent-Désiré Kabila. Il a été adopté », affirment-ils. Ce thème trouve un certain écho chez plusieurs autres candidats et au sein d’une partie de la population, qui n’oublie pas l’occupation militaire et le pillage de l’est du pays par des soldats venant du Rwanda. Bemba, dont l’électorat est concentré dans l’Équateur, a donc multiplié les appels du pied en direction des « nationalistes » comme l’UDPS ou la Coalition des démocrates congolais (Codeco) présidé par Pierre Pay Pay, un ancien gouverneur de la Banque centrale, qui jouit d’une popularité importante dans le Kivu.
Bemba peut-il l’emporter ? Cela semble très improbable, une grande partie de la population lui reprochant son passé de chef de rébellion à la tête d’hommes sans foi ni loi. Il vient en outre de subir plusieurs défections d’importance, dont celles d’Olivier Kamitatu, son ex-bras droit qui a dû rendre son tablier de président de l’Assemblée nationale, et d’Alexis Thambwe Mwamba, ex-ministre du Plan. Le premier s’est déclaré candidat à la présidence et ratisse pour son propre compte. Il a déjà obtenu le ralliement de trois députés du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD/Goma) qui ont rejoint son Alliance pour le renouveau du Congo (ARC). Il bénéficie également d’un important crédit auprès de la communauté internationale, qui espère secrètement un tandem Kabila-Kamitatu, le premier gardant la présidence tandis que le second prendrait la primature. Mais, à ce jour, l’homme a plutôt fait couler l’encre pour ses projets d’alliance avec la Codeco. Un partenariat qui pourrait coûter beaucoup de voix au candidat Kabila et qui laisse augurer la tenue d’un second tour.
Plusieurs autres candidats devraient d’ailleurs glaner de nombreuses voix dans leur propre fief électoral. À commencer par Antoine Gizenga (80 ans), le plus vieil opposant congolais, dirigeant du Parti lumumbiste unifié (Palu) et alternative au sein de l’opposition politique non armée. Il faudra suivre son score dans le Bandundu et à Kinshasa. C’est aussi le cas des deux vice-présidents, Azarias Ruberwa, chef d’une ex-rébellion soutenue par le Rwanda, et Arthur Zahidi Ngoma, leader des Forces du futur, ainsi que du ministre de la Coopération régionale, Antipas Mbusa Nyamwisi, et de Nzanga Mobutu, un des fils du dictateur zaïrois. Enfin, les femmes, qui représentent plus de 52 % de l’électorat, pourraient aussi porter leurs suffrages sur l’une des quatre candidates. Pour la première fois dans l’histoire du pays, les jeux ne sont pas faits d’avance et l’on semble en outre se diriger vers un scrutin offrant des garanties de transparence. « Nous sommes 26 millions d’électeurs. Compte tenu du grand nombre de candidats, il me semble impossible qu’un seul obtienne 13 millions de suffrages au premier tour, estime François Muamba, le secrétaire général du MLC et ministre du Budget (voir page 56). D’autant plus que l’électorat est assez bien réparti dans cinq régions principales : le Grand Nord ; le couloir de l’Ituri et du Sud-Kivu ; le Sud, avec essentiellement le Katanga ; la cuvette centrale (les deux Kasaïs) ; et l’Ouest, avec Kinshasa, le Bas Congo et le Bandundu. »
Reste l’hypothèse d’importants désistements dans la dernière ligne droite Le marché des ralliements et des transfuges bat actuellement son plein et risque de se prolonger jusqu’à la veille du scrutin, certains cherchant un positionnement tactique dans la course aux portefeuilles ministériels. Les médias congolais relatent au quotidien toutes leurs manuvres et chicaneries. « Les Congolais iront voter massivement, y compris de nombreux partisans de l’UDPS qui sont allés s’inscrire sur les listes électorales. Les gens en ont ras-le-bol de l’insécurité politique depuis quinze ans », explique un journaliste congolais. La société civile, pour sa part, appelle au calme et à la responsabilité. Un message relayé sur toutes les banderoles qui jalonnent les principales artères de la capitale et de grandes métropoles du pays : des élections libres et transparentes, non à la haine et à la violence, peut-on y lire. Les ONG et les églises ont trouvé un nouveau credo : les actions de sensibilisation aux élections. Ainsi de l’ONG Femmes et Enfants qui organise des journées de vulgarisation de la loi électorale. Les questions des participants sont directes et deux interrogations dominent : les criminels de guerre peuvent-ils se présenter aux élections ? Les ex-rebelles reprendront-ils les armes en cas de défaite ? Des interrogations qui laissent poindre les craintes d’une reprise du conflit et une colère latente de voir les ex-belligérants briguer la magistrature suprême. Car il faut bien l’avouer, les principales préoccupations des Congolais ne concernent pas la politique, mais le développement économique et social. Une priorité pour le prochain président s’il veut consolider les acquis de la paix. Sa tâche sera d’autant moins aisée que le prochain gouvernement risque d’être pléthorique en raison des nombreuses alliances nouées pendant la campagne électorale

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