Prophète, mais seulement chez lui

Publié le 23 janvier 2005 Lecture : 3 minutes.

Le décor est planté et les acteurs sont déjà entrés en scène, ou sur le point de le faire.
Je veux parler bien sûr :
– de George W. Bush et de son équipe partiellement renouvelée, où Condoleezza Rice remplace Colin Powell pour « faire », semble-t-il, « du Powell sans Powell – et mieux que lui » : « Le moment de la diplomatie est arrivé », a-t-elle dit.
Mais non sans lister les six pays dont les régimes déplaisent à son président, au point qu’on peut les considérer comme ennemis des États-Unis et… irrécupérables : l’Iran et la Corée du Nord, déjà inscrits dans l’« axe du Mal » comme membres fondateurs, auxquels Condoleezza Rice a décidé d’ajouter Cuba, le Zimbabwe, la Birmanie, la Biélorussie ;
– du Palestinien Mahmoud Abbas et de l’Israélien Ariel Sharon : chacun d’eux s’est entouré tout récemment d’hommes et de femmes qu’il a choisis pour faire « la politique de ses moyens » ;
– du nouveau gouvernement irakien, qu’on verra naître au forceps, dans quelques jours, à l’issue d’élections qui seront tenues le 30 janvier, sous l’empire de la loi martiale, dans un pays occupé par plusieurs armées étrangères et où la violence est quotidienne.

Le personnage central est bien évidemment George W. Bush. Comme les planètes gravitent autour du Soleil, dans ce monde qu’on voudrait multipolaire mais qui ne l’est pas (encore), les chefs des exécutifs nationaux, comme ceux des institutions internationales, se situent tous par rapport à cet homme.
Les Américains viennent de le réélire pour quatre ans et il est, de ce fait, leur président en même temps que le suzerain des nôtres.
La majorité d’entre eux lui fait confiance et se reconnaît en lui.
La très grande majorité des non-Américains n’a pour lui, à l’inverse, que défiance et absence de considération.
C’est là une dissonance difficile à comprendre, mais bien réelle.

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Voyons de plus près comment s’exprime ce dualisme fascinant – et dangereux.
Le dernier sondage Gallup, réalisé le 16 janvier pour USA Today et CNN sur l’ensemble des États-Unis, donne les résultats suivants :
Un autre sondage, conduit au même moment (13-17 janvier) pour le Wall Street Journal et NBC, à l’échelle nationale lui aussi, donne des appréciations tout aussi favorables :
L’opinion des Américains est donc majoritairement positive : l’homme qu’ils ont réélu le 2 novembre dernier est, à leurs yeux, le chef qu’il leur faut en ce moment de leur histoire où ils se sentent à la fois très puissants et très vulnérables.
Mais dès qu’on quitte les États-Unis d’Amérique, qu’on se promène dans le reste du monde et qu’on interroge les gens, on ne trouve, presque partout, que réserve, et même hostilité, à l’endroit de George W. Bush.
La BBC, réputée pour son indépendance et son objectivité, a mené un vaste sondage d’opinion, dans vingt et un pays répartis sur les cinq continents. Les résultats de cette enquête, rendus publics le 20 janvier, sont édifiants :
1) Le fait que ses concitoyens aient réélu George W. Bush est généralement considéré comme « négatif pour la sécurité du monde et pour la paix » :
2) La très grande majorité des gens interrogés exprime leur hostilité à la politique de George W. Bush, et à ce qu’il personnifie, par une opposition très ferme à toute participation de leur pays à la guerre d’Irak par l’envoi de troupes :

George W. Bush a donc réussi à convaincre ses compatriotes de sa valeur et à leur inspirer confiance. Ils l’ont réélu et sont, pour le moment, dans leur majorité, contents qu’il soit leur chef.
Mais pourquoi ce « prophète » ne l’est-il qu’à l’intérieur des frontières de son pays ? Pourquoi ne parvient-il pas à exporter son personnage et son message ?
Pourquoi le reste du monde a-t-il de lui une appréciation différente, voire opposée ?
L’enquête de la BBC confirme de façon saisissante que l’homme choisi par la majorité des Américains est, ainsi que son style et sa politique, rejeté par la majorité des non-Américains, quelles que soient leur race et leur couleur politique ?
Le phénomène est nouveau, et même, à ma connaissance, sans précédent. Je n’en connais pas l’explication, et j’en appréhende les effets.

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