« La Haine » version antillaise

Nèg maron, de Jean-Claude Flamand Barny (sorti à Paris le 19 janvier)

Publié le 23 janvier 2005 Lecture : 3 minutes.

Nèg Maron, c’est ainsi qu’on a appelé aux Antilles les Noirs qui se sont révoltés contre l’esclavage, fuyant les plantations pour se réfugier dans la forêt. Survivant comme ils pouvaient, ils furent les premiers à refuser toute forme de résignation, à se battre sans répit pour leur liberté. L’expression eut un temps une connotation péjorative, renvoyant à un simple refus de se plier aux règles de la société. Elle a retrouvé aujourd’hui une
valeur positive, elle évoque à nouveau la soif de choisir librement son destin et l’esprit de résistance.
C’est, pour son premier film, à ces insoumis courageux qu’a voulu se référer Jean-Claude Flamand Barny. Il raconte l’histoire de deux jeunes Antillais, Josua et Silex, qui, à l’heure où ils passent à l’âge adulte, dans leur île où règne le chômage, vivent de toutes sortes d’expédients. Comme ceux qui « maronnaient » autrefois. Par manque de chance, et par manque de discernement, les deux amis d’enfance vont être entraînés dans un coup foireux qui va très mal tourner. Chargés de récupérer un dossier compromettant chez un riche planteur, amateur de photos de l’époque de l’esclavage, ils se mettent, indignés, à tout détruire chez lui au lieu de remplir « professionnellement » leur mission. Surtout, ils se retrouveront bientôt traqués par la police et accusés de meurtre. L’un et l’autre, l’orphelin écorché vif et le fils d’un ex-syndicaliste alcoolique mal dans sa peau, réagiront très différemment face à la situation. Leur amitié est mise à l’épreuve. Jusqu’à l’issue inévitablement tragique de toute l’affaire.

Ce film tourné en Guadeloupe, uniquement avec des acteurs locaux ou originaires des îles, se présente superficiellement comme une sorte de thriller tropical au rythme échevelé. Un long-métrage au montage serré, plein de scènes d’action, très « à l’américaine ». Mais le réalisateur, un Guadeloupéen qui a longtemps vécu dans la banlieue parisienne, entend aussi dresser au passage un portrait politico-social sans concession des Antilles. À
travers les aventures de Josua et Silex, les deux jeunes révoltés de Pointe-à-Pitre qui
se précipitent de galère en galère et dont les rôles sont respectivement tenus par Admiral T, l’une des plus grandes voix du reggae dancehall francophone, et D. Daly, bien connu des amateurs de musique urbaine guadeloupéenne. Mais aussi et sans doute surtout grâce aux personnages secondaires, notamment ceux très bien incarnés par le rappeur Stomy Bugsy, la chanteuse du groupe Kassav Jocelyne Béroard ou le grand comédien Alex Descas, qui avait si bien interprété il y a quelques années Mobutu dans le Lumumba de Raoul Peck.

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À trop vouloir montrer, le film, qui se laisse pourtant voir sans déplaisir et sans jamais ennuyer son spectateur, ne tient malheureusement pas la distance. Car le scénario, à la limite de la caricature, et les personnages, pas toujours crédibles malgré la qualité des acteurs, n’ont pas assez d’épaisseur. Quant au « message » politique, il n’est guère audible, vu le niveau des réflexions et des interrogations que véhiculent les dialogues, quelque peu primaires. L’ambition du cinéaste, ami, collaborateur et manifestement admirateur de Mathieu Kassovitz, était semble-t-il de proposer une sorte de remake antillais de La Haine, le grand succès de son mentor. Ou une version caribéenne de ces films d’action afro-américains comme ceux d’un John Singleton. L’objectif n’est pas atteint. Reste un film moderne sur les Antilles comme on n’en avait pas vu jusque-là et un
réalisateur capable de tourner des scènes très fortes. Une promesse pour l’avenir ?

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