Comment en finir avec la pauvreté

Pour atteindre les Objectifs du millénaire fixés en 2000, les Nations unies proposent aux pays riches une nouvelle stratégie : « investir dans le développement ». En première ligne, le conseiller spécial de Kofi Annan, Jeffrey Sachs.

Publié le 23 janvier 2005 Lecture : 4 minutes.

En remettant son rapport à Kofi Annan, le 17 janvier, à New York, Jeffrey Sachs, conseiller spécial de l’ONU, a fait part d’une ferme conviction : les pays riches ont la possibilité et l’obligation de réduire de moitié la pauvreté à travers le monde d’ici à 2015, conformément aux Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), approuvés par 160 pays, en septembre 2000. « Mais, par manque de volonté, nous avons perdu cinq ans », estime Guido Schmidt-Traub, l’un des plus proches collaborateurs de l’économiste américain, qui ajoute : « Il faut donc à présent donner un coup de collier et proposer une feuille de route pour relancer l’aide au développement. »
Aujourd’hui, plus de 1 milliard de personnes vivent avec moins de 1 dollar par jour, et 850 millions souffrent de sous-alimentation. Si, globalement, ces chiffres ont tendance à baisser, il existe de fortes disparités. Le cas le plus préoccupant est celui de l’Afrique subsaharienne, particulièrement affectée par la faim, la maladie, les problèmes d’éducation, le manque de logements et l’exclusion sociale.

Pourquoi en est-on arrivé là ?
Si le rapport n’ignore pas le déficit démocratique et les lacunes en matière de bonne gouvernance, l’équipe de Jeffrey Sachs, qui réunit 250 personnes réparties dans plusieurs commissions (alimentation, éducation, santé, commerce, agriculture, environnement…), estime que l’Afrique souffre avant tout de sa géographie. Beaucoup de pays sont enclavés. Contrairement à l’idée répandue, la terre et les techniques agricoles ne procurent pas de bons rendements. Les sécheresses à répétition provoquent des famines, et les maladies entraînent une chute de l’espérance de vie ; chaque mois, 150 000 enfants meurent du paludisme. Cette douloureuse liste, à laquelle il faut malheureusement ajouter celle des victimes du sida (2,3 millions de décès en 2004), n’est pas une excuse, mais explique pour une large part la situation actuelle. « L’Afrique subsaharienne est l’épicentre de la crise. »

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Faut-il désespérer ?
Non, répond le conseiller spécial de Kofi Annan. Il n’y a pas de fatalité « au piège de la pauvreté », affirme-t-il, à condition que les grandes puissances prennent leurs responsabilités. Il faut donc « investir dans le développement ». Pour permettre aux pays les plus pauvres de s’en sortir, les besoins financiers sont estimés à 135 milliards de dollars en 2006, pour s’élever à 195 milliards en 2015. Soit respectivement 0,44 % et 0,54 % du PIB des pays riches. Une contribution largement à leur portée, d’autant qu’on est encore loin des 0,7 % promis, alors que l’aide publique au développement atteint seulement 65 milliards de dollars, soit 0,25 % du PIB. Chaque année, les dépenses militaires mondiales dépassent 900 milliards de dollars.

Dépenses et diagnostic
Il faut commencer par utiliser à bon escient les fonds alloués au développement et réformer les systèmes de distribution de l’aide en privilégiant le long terme. Selon le rapport, seuls 30 % des sommes débloquées financent des programmes dont les effets profitent véritablement aux personnes les plus démunies. L’équipe Sachs préconise ensuite un diagnostic précis, pays par pays, des besoins dans tous les domaines. L’énumération est longue : la prise en charge des frais de scolarité et de santé ; la fourniture de moustiquaires traitées ; la construction de ponts, de routes, d’hôpitaux et d’écoles ; la livraison d’engrais et de semences aux paysans ; l’amélioration de l’habitat ; des programmes de soutien auprès de la société civile ; la promotion du rôle des femmes ; la formation de cadres dans la fonction publique… Le total de ces investissements est évalué à 110 dollars par an et par habitant : ce n’est pas à la portée de pays qui affichent un PIB par habitant de 300 dollars. En revanche, pour les États membres du G8, c’est moins de 25 cents sur 100 dollars dépensés !

Quelles réformes ?
Face à la pauvreté, il y a aussi des remèdes macroéconomiques comme l’effacement de la dette et une meilleure intégration dans le commerce mondial. Sur ce point, le professeur d’économie prend à contre-pied les recettes souvent défendues dans les bureaux des institutions de Bretton Woods. « Le commerce international n’est pas la solution miracle pour le développement », écrit-il, avant de critiquer ouvertement la doctrine très en vogue au sein de l’administration Bush « trade, not aid » (« du commerce et pas d’aide »). À défaut d’une répartition des termes de l’échange, d’une remise en question des règles du commerce international et d’une meilleure compétitivité, l’Afrique n’a rien à gagner avec la mondialisation. Elle est trop dépendante du cours des matières premières, et les exportations concernent un nombre trop limité d’activités pour véritablement avoir un impact sur le bien-être des populations. « La libéralisation n’est pas la seule solution. » À ce titre, l’exemple du coton est édifiant. Chaque année, les producteurs africains perdent 1 milliard de dollars du fait des subventions à l’exportation versées aux agriculteurs européens et américains.
De la même manière, en ce qui concerne la dette, ce rapport présente une singularité qui tranche avec la pensée dominante. « L’allègement de la dette ne suffit pas, il faut l’annuler », déclare Sachs, avant de regretter que « les pays riches [aient] pris l’habitude de faire de gentils communiqués sans passer aux actes ». La dette publique des pays en développement est estimée à 2 100 milliards de dollars. Selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), le continent africain a reçu, entre 1970 et 2002, 540 milliards de dollars en prêts, mais en a dépensé 550 milliards en remboursement de la dette. Un véritable fardeau pour les finances publiques.

Bénéfice planétaire
Jeffrey Sachs en appelle à la solidarité, au courage et à la compassion, mais il pointe aussi quelques évidences chiffrées qui devraient séduire les bailleurs les plus pragmatiques. La pauvreté augmente les risques de conflits. Or le coût des crises humanitaires, souvent liées aux guerres, a dépassé 3 300 milliards de dollars en 2004. La pauvreté, source de colère et de désespoir, est par ailleurs à l’origine des phénomènes migratoires dont les pays du Nord ne cessent de vouloir se protéger.
Construire des barrières ne suffira pas. En revanche, respecter les Objectifs du millénaire permettrait à 500 millions de personnes de sortir de l’extrême pauvreté, à 300 millions de ne plus souffrir de la faim et à 30 millions d’enfants de passer le cap… de leur cinquième anniversaire.

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