Big is beautiful

Présenté à Toulouse le 18 janvier, le superjumbo européen ouvre une nouvelle ère dans le transport aérien de masse.

Publié le 23 janvier 2005 Lecture : 4 minutes.

Quatre chefs d’État ou de gouvernement, une dizaine de présidents de compagnie aérienne, cinq cents journalistes et 4 500 invités ont assisté à la sortie d’usine du premier Airbus A-380, le 18 janvier, à Toulouse, dans le sud de la France. Un spectacle fastueux, rejoué le lendemain devant les représentants des 50 000 personnes qui travaillent à la construction du plus gros avion de ligne du monde. À l’issue de la cérémonie, l’Allemand Gerhard Schröder, le Britannique Tony Blair, l’Espagnol José Luis Zapatero et le Français Jacques Chirac, au nom des pays partenaires du constructeur aéronautique, ont procédé au baptême officiel de ce qui est également le symbole de leur alliance industrielle. Les essais en vol sont programmés pour début avril, et Singapore Airlines prévoit d’inaugurer la ligne Londres-Singapour sur A-380 en avril 2006.
Fort des 149 commandes fermes acquises à ce jour auprès de 14 compagnies, Airbus Industries, filiale d’EADS (European Aerospace Defense and Space Company), a bon espoir de dépasser la vente de 250 appareils en 2012 pour rentabiliser un programme de 10,7 milliards d’euros. La question d’un éventuel échec commercial ne se pose même pas. Pour ses concepteurs, l’A-380 est la réponse à la croissance continue du trafic aérien mondial, qu’ils estiment à 5,3 % par an d’ici à 2025. Dans les pays riches, les pistes des aéroports sont saturées. Un avion se pose ou décolle, quand les conditions le permettent, toutes les cinquante secondes. Impossible d’augmenter les cadences, à moins de construire de nouvelles pistes, ce que l’urbanisation interdit, ou de mettre au point un avion qui transporte plus de passagers qu’aucun autre… L’idée, ajoutée à celle de porter un nouveau coup au rival américain Boeing en visant le navire amiral de sa flotte, le 747, a fait son chemin. Lancé en 1969, le légendaire Jumbo a révolutionné le transport aérien. Il s’en est vendu plus de 1 500 exemplaires. Airbus, créé en 1971 et devenu le numéro un de l’aviation civile trente ans plus tard, pouvait bien s’attribuer la paternité d’une nouvelle révolution.
C’est en décembre 2000 que les dirigeants d’Airbus décident de lancer les études du futur gros-porteur. Son cahier des charges a été défini avec les compagnies aériennes et les autorités aéroportuaires. Ce sont elles, notamment, qui ont imposé les dimensions extérieures de l’avion : il doit entrer dans un carré de 80 mètres de côté pour s’adapter aux infrastructures existantes. Le résultat est un quadriréacteur d’une capacité de 555 passagers répartis en trois classes et sur deux étages. Avec environ un tiers de sièges supplémentaires que le 747 et une surface de plancher supérieure de 50 %, l’A-380 promet un grand confort grâce à des fauteuils et des couloirs plus larges, des espaces pour se détendre, des cabines-couchettes, un bar-boutique ou encore une salle de sport. Les réacteurs, mais aussi la voilure et les trains d’atterrissage, ont été conçus pour que l’A-380 soit deux fois plus silencieux que le Boeing 747 à l’atterrissage et au décollage. En vitesse de croisière, il consommera 13 % de kérosène en moins, soit 2,9 litres de carburant par passager aux 100 kilomètres. Le baptême en grande pompe de ce paquebot volant montre qu’Airbus a également réussi à résoudre le casse-tête industriel qui lui était imposé par ses racines historiques. Certes, les partenaires à l’origine de la création du constructeur ont accepté de fusionner en 2001 pour constituer un groupe ; c’était un impératif compte tenu de la dimension du projet. Mais ni le britannique BAe, ni l’espagnol Casa, ni l’allemand Dasa, ni encore le français Matra-Aérospatiale n’auraient accepté de délocaliser leurs emplois vers un seul site. Résultat : l’avion est un puzzle géant de trois millions de pièces, produites dans seize sites répartis en Europe avant d’être assemblées à Toulouse dans des hangars couvrant 10 hectares. Fabriquées au Royaume-Uni, les ailes sont chargées sur un cargo qui fait ensuite escale près de Nantes, dans l’ouest de la France, où sont construits le cockpit et le fuselage central. De là, direction Bordeaux, où chaque morceau prend la route pour rejoindre Toulouse. Un voyage de 240 kilomètres pendant trois nuits. L’assemblage final dure quatre semaines, utilisant d’autres pièces arrivées par avion, comme la queue de l’appareil, venue d’Espagne, avant que l’ensemble s’envole vers Hambourg, en Allemagne, où sont installés les équipements intérieurs. Ces prouesses logistiques devront se répéter à un rythme toujours plus soutenu pour atteindre, en 2008, la production d’un appareil par semaine.
Airbus estime le marché mondial de cette catégorie d’avions à 1 650 exemplaires dans les trente à quarante années qui viennent et entend bien s’en attribuer la moitié. Boeing a jeté l’éponge. Son projet de version allongée du 747, d’une capacité de 416 passagers, n’a pas trouvé preneur. L’A-380 revient 15 % moins cher par passager transporté. Mais il lui faudra encore franchir bien des obstacles, dont le principal est commercial. Il s’agit de convaincre d’autres compagnies aériennes que le superjumbo représente bel et bien la révolution annoncée, un nouveau monde dans lequel de gros avions relient entre elles les grandes villes, où de plus petits appareils transportent les passagers vers leur destination finale. Il faut aussi persuader les aéroports de réaliser les investissements nécessaires. Ils sont une dizaine seulement à avoir franchi le pas. Nul besoin de rallonger les pistes, ni même de les renforcer. Mais il faut adapter la gestion des aires de manoeuvre et de stationnement et, surtout, la circulation des passagers. Il faut au moins trois passerelles, dont une pour le pont supérieur afin de débarquer rapidement les occupants de première et de classe affaires, ceux qui payent assez cher pour rentabiliser tout le vol…
À ce choix d’Airbus, Boeing oppose celui de la multiplication des dessertes entre métropoles moyennes, assurées par des long-courriers plus économiques, comme le biréacteur 7E7 de 250 places, dont il a déjà vendu 62 exemplaires pour une mise en service en 2008. L’A-380 ne dispose donc que de trois ans pour faire ses preuves.

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