En perspective : du désordre

Publié le 22 octobre 2007 Lecture : 5 minutes.

De nombreux signes laissent présager une période de grand désordre dans les affaires internationales. Il nous faut, à mon avis, la craindre et, si possible, nous y préparer.
L’orage peut ne pas éclater, mais les nuées sont là.

À tout seigneur, tout honneur : la première cause de désordre vient des États-Unis, puissance dominante s’il en est.
Plus que jamais à la pointe des technologies civiles et militaires – on vient d’observer que la plupart des Prix Nobel ont été formés par ses universités -, ce grand pays est « l’hyperpuissance » du moment. Dans l’arène internationale, il joue, en bien comme en mal, un rôle unique et déterminant.
Or il sera bientôt en pleine période électorale, en quête d’un nouveau président (qui pourrait être, pour la première fois de l’histoire de l’Amérique, une présidente). Et ce n’est plus guère contesté, même aux États-Unis : l’actuel hôte de la Maison Blanche, qui entrera prochainement dans la dernière année de son dernier mandat, n’est pas à la hauteur de la fonction et, dans la dernière partie de leur parcours, le pilote (Bush) et le copilote (Cheney) de l’avion Amérique inquiètent plus qu’ils ne rassurent

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Ils ne sont d’ailleurs pas étrangers aux signes annonciateurs de désordre que je vais maintenant passer en revue.
– Le prix du baril de pétrole a franchi la barre des 90 dollars et pourrait monter plus haut. En termes réels, inflation déduite, il est déjà au niveau, très élevé, du deuxième choc pétrolier (1980), celui-là même qui a déclenché une crise économique et une inflation mondiale qui ont été très difficiles à surmonter.
– Le cours du dollar est, lui, depuis deux ans, à la baisse pour permettre à l’Amérique de faire face au déséquilibre structurel de son commerce extérieur et à l’endettement qui en découle.
Cette baisse a pour seul avantage d’atténuer pour bien des pays – dont ceux de la zone du franc CFA – l’impact de la hausse du prix du pétrole. Mais l’économie mondiale pourra difficilement s’ajuster à une dépréciation accélérée du dollar.
– La crise américaine de l’immobilier (dite des « subprimes ») n’en est, elle aussi, qu’à son début. Le secrétaire américain au Trésor, Henry Paulson, a lui-même cloué au pilori les banques prêteuses qui en ont créé les conditions et déclaré « que ses conséquences négatives sur l’économie, sur le marché financier et sur la propriété immobilière » seront longues à effacer.
Elle a déjà franchi l’Atlantique pour se propager en Europe, en Asie et en Amérique latine ; les grandes banques et les Bourses en sont encore à évaluer les pertes enregistrées au cours des deux mois écoulés. Mais on sait qu’elles sont considérables.
Le crédit a toutes chances de se faire plus rare et plus cher. Conséquences immédiates : le moral des chefs d’entreprise est atteint, le chômage cesse de reculer et les prévisions de croissance économique sont, partout, révisées à la baisse.

Les indicateurs politiques sont eux aussi à l’orange.
Comme naguère celle du Vietnam, la guerre d’Irak – elle bouclera en mars prochain sa cinquième année – menace à tout moment de déborder sur les grands pays voisins : Iran, Turquie, Syrie.
Fait sans aucun précédent, des officiers américains qui ont servi en Irak entre 2003 et 2006 viennent de joindre leurs voix aux nôtres et à celles de tous les observateurs pour confirmer que l’Irak a été ravagé et que, faute de pouvoir reconstruire le pays et la société, les États-Unis n’ont rien de mieux à faire que de s’en aller, sans délai (voir page 24).

Au lieu d’écouter et comme pour réparer un oubli ou « changer de sujet », le président américain et sa secrétaire d’État, secondés par Tony Blair, l’homme qui n’a « jamais su leur dire non », se sont embarqués dans un énième processus de paix israélo-palestinien, si mal fagoté qu’on ne parvient même pas à s’entendre sur le nom à lui donner.
S’il est mené à terme et si ce terme est plus que de la poudre aux yeux, ce sera un miracle.
Pour l’heure, on nous annonce une réunion diplomatique dont le lieu est fixé à Annapolis, capitale du Maryland (près de Washington), mais dont la date (on a avancé fin novembre) n’est pas certaine : elle pourrait être reportée de plusieurs jours ou même de plusieurs semaines.
La liste des pays qui y assisteront est en cours d’élaboration ou, si vous le préférez, est encore l’objet d’un marchandage.
À un peu plus d’un mois de l’événement, on sait que la réunion ne traitera pas du Moyen-Orient dans son ensemble ni même du conflit israélo-arabe. Elle aura pour ambition principale d’accréditer l’idée que le président Bush était sérieux lorsqu’il a parlé – il y a cinq ans ! – de sa « vision » (sic) d’un État palestinien, sans jamais s’aventurer à dire lequel, quand et dans quelles frontières.
Le président palestinien Mahmoud Abbas et le Premier ministre d’Israël Ehoud Olmert, aussi faibles et impopulaires dans leurs pays respectifs que George W. Bush dans le sien, ont estimé qu’il était de leur intérêt politique de figurer dans cette pièce dont Condoleezza Rice dirige la mise en scène.
Le New York Times fait preuve d’un optimisme prudent lorsque, traitant de la réunion d’Annapolis, il écrit :
« Pour Mahmoud Abbas, la conférence de novembre doit donner lieu à une prise de position claire et nette sur les problèmes les plus sensibles et les plus difficiles : les réfugiés, Jérusalem et la date à laquelle les Palestiniens auront l’État indépendant que Bush leur a promis il y a cinq ans. Mais Israël juge Abbas trop faible pour garantir la sécurité à Israël et ne veut rien faire pour le renforcer.
Condoleezza Rice affirme qu’elle ne cherche pas à organiser simplement une séance photos de plus, mais elle a laissé aux Palestiniens et aux Israéliens le soin de rédiger la déclaration commune qui doit conclure la réunion. Il faudra qu’elle se retrousse un peu plus les manches pour prouver ses talents de diplomate. Et George W. Bush devra, quant à lui, s’impliquer personnellement et directement.
Le bilan actuel de l’Amérique au Moyen-Orient est un constat d’échec : en Irak, elle n’a pas réussi à promouvoir une authentique démocratie, et elle n’a pas su empêcher l’Iran de brandir face à l’Occident son islam extrémiste. La région ne peut pas se permettre un autre échec, ni l’Amérique d’entacher davantage sa réputation. Toutes les parties ont besoin de sortir de cette réunion de novembre avec le sentiment que quelque chose de concret a changé au Moyen-Orient – et qu’on tient enfin le bon bout. »

Je suis plus pessimiste. Sous l’égide de Condoleezza Rice (et de Tony Blair), sous le haut patronage de George W. Bush et en présence de ceux qui auront accepté de se compromettre avec eux, Ehoud Olmert et Mahmoud Abbas signeront un texte qu’ils s’efforceront de rendre ronflant et convaincant. Mais ni leurs collaborateurs ni a fortiori leurs successeurs ne se sentiront tenus par les « engagements » qu’il contiendra.
Et l’on ne se sera occupé que d’un seul volet d’un problème bien plus vaste.

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