Cette terre est la vôtre et la nôtre

Un éditorial du quotidien Haaretz exhorte les peuples palestinien et israélien à mieux comprendre leurs souffrances respectives et à renoncer à leur droit au retour, aussi légitime soit-il.

Publié le 22 octobre 2007 Lecture : 3 minutes.

Il n’est que légitime et juste d’exiger des Juifs qu’ils commencent enfin à admettre la souffrance, le sentiment de déracinement et de perte que les Palestiniens éprouvent en pensant à la guerre qui fut à l’origine d’Israël et au cours de laquelle plusieurs milliers d’entre eux ont perdu leur foyer. Certains ont perdu leur maison parce qu’ils se sont enfuis, avec l’espoir de pouvoir revenir rapidement, d’autres parce qu’ils ont été jetés dehors.
Il serait également légitime que nous exigions des Palestiniens qu’ils commencent à leur tour à prendre conscience des plaies ouvertes des Juifs. Rien ne suscite chez les Juifs autant de malaise que le rappel de leur passé. Nos blessures sont si profondes que nous avons tendance à être obsédés par notre propre souffrance, par le drame que nous avons vécu en tant que peuple. Par contre, lorsque les Palestiniens se mettent à nous raconter, à nous les Juifs, la perte de leur foyer et la mort des leurs, nous les congédions trop souvent d’un regard sceptique car leurs déclamations sonnent faux et semblent excessives à nos oreilles. Nous avons l’impression que leur chagrin est fondé sur des causes plus fantasmatiques que réelles et qu’il n’est pas dépourvu d’arrière-pensées politiques.

Quant à vous, nos amis Palestiniens, à force de nous voir constamment pleurer sur l’Holocauste et nous lamenter sur les victimes du terrorisme et de la guerre, vos curs se sont endurcis à notre égard et peut-être même emplis de mépris.
Trois générations après votre Nakba, vous continuez de nourrir l’espoir qu’un jour prochain vous pourrez de nouveau accrocher dans vos maisons, dont le souvenir reste encore vivace dans vos curs, les clefs rouillées que vous chérissez comme de véritables trésors. Bien que cela ne vous paraisse pas très logique, il vous faudra admettre que nous aussi nous avons gardé par-devers nous les clefs de nos maisons, malgré les cent trente générations qui nous séparent de notre Nakba provoquée par les Babyloniens et une centaine de la destruction qui nous fut infligée par les Romains.
Ceux d’entre vous qui ont du mal à admettre la réalité de la souffrance des Juifs, ceux d’entre vous qui se consolent en se disant que les Juifs d’aujourd’hui ne sont pas les descendants de l’Israël antique, ceux d’entre vous qui se rassurent en rejetant comme absurde l’idée que les Juifs puissent encore revendiquer des droits légitimes sur cette terre, vous devez tous savoir ceci : cette terre est la nôtre, tout comme elle est la vôtre. Votre Haram al-Sharif – Noble Sanctuaire – est ce que nous appelons Har Habayit, le Mont de Notre Foyer (le mont du Temple). C’est là que bat le cur du judaïsme depuis 3 000 ans. Ce site est l’endroit précis où se situait notre premier foyer, le mur ouest devant lequel vous nous voyez nous lamenter du haut de votre esplanade, ce mur n’étant que les vestiges de la pièce qui soutenait l’édifice principal. C’est là-haut qu’est notre véritable origine et vous vous l’êtes appropriée. Vous occupez la partie la plus sacrée de notre terre.

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Que nous soyons laïcs ou religieux, dispersés sur les six continents, nous avons toujours transporté avec nous la clef rouillée de notre maison. Si vous ne pouvez pas voir cette clef, c’est parce qu’elle se mêle à la substance de nos os, de notre mémoire et de notre cur. Elle se trouve au tréfonds de notre âme.
Vous ne pouvez dénigrer cette réalité-là qu’à vos risques et périls. Vous ne la renierez qu’à votre propre détriment. Il n’y a rien d’autre à dire sur la question du droit au retour, le nôtre et le vôtre, ni sur la question des religieux, qu’ils soient musulmans ou juifs. La justice n’est pas de ce monde, ni pour vous ni pour nous. Laissez le droit au retour là où il doit être. Il fait partie de votre for intérieur, sa place n’est pas parmi les vivants. Notre droit au retour ne peut être réalisé, pas plus que le vôtre. C’est en fait un droit à la mémoire et rien de plus. Car le foyer ou le royaume nous voudrions retourner n’existe plus, comme a disparu à tout jamais le village où se trouvaient autrefois vos maisons.

Ce Dieu qui est le même pour vous et pour nous ne peut rendre la justice, ni aux Juifs ni aux Palestiniens. Il peut en revanche donner la vie à nos deux peuples, à condition que nous puissions oublier notre droit au retour, à tout ce qui nous appartenait autrefois et nous comporter enfin comme des adultes.

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