Loi sur le génocide arménien : triple faute des socialistes

Publié le 22 octobre 2006 Lecture : 2 minutes.

En s’étant mis d’accord avec [l’UMP] Patrick Devedjian pour ?faire voter une loi rendant passible de prison quiconque nie ?le génocide arménien, [le socialiste] François Hollande encourt trois reproches. Le premier est de sembler dire que le dispositif législatif actuel est inopérant face à la montée d’un problème crucial. Or ce dispositif avait notamment permis de faire condamner en 1995 l’historien Bernard Lewis à verser 1 franc de dommages et intérêts pour sa récusation, dans les colonnes du Monde, de l’usage du terme « génocide » pour qualifier les massacres de 1915. []

Ajoutons que la pratique qui consiste à donner suite aux pressions d’un groupe se présentant sous l’aspect de la communauté en dit long sur l’incohérence de certains acteurs politiques. Notamment ceux qui n’acceptent, en principe, d’envisager dans l’espace public que des individus libres et égaux en droit, et qui rejettent en théorie toute tentation multiculturaliste – sauf bien sûr s’il s’agit de leur propre communauté ou de leurs intérêts électoraux. C’est pourquoi la reconnaissance parlementaire d’autres génocides, qui d’ailleurs pourraient concerner la France plus directement (Grands Lacs africains), n’est pas à l’ordre du jour, tout simplement faute de communautés suffisamment puissantes pour tenter de l’obtenir.
Deuxième faute : alors que, dans leur grande majorité, les historiens demandent qu’il soit mis fin sinon aux lois mémorielles actuellement en vigueur (lois Gayssot, Taubira, etc.), du moins aux tendances à les démultiplier, une partie de la classe politique, annulant au passage le clivage droite-gauche, prétend dire le vrai en matière historique, et en l’occurrence sans grande compétence, et s’arroge une responsabilité qui ne devrait pas être la sienne. La loi est de ce fait une insulte aux historiens et à tous ceux qui considèrent que c’est à l’Histoire d’établir les faits. De plus, elle paralysera la recherche : quel est le chercheur qui serait assez fou pour lancer des travaux dans un domaine sous si haute surveillance, quel est le professeur qui encouragera ses étudiants à défricher les pages obscures d’un passé devenu lumineux de par la loi ?

la suite après cette publicité

La démarche de François Hollande vise d’une part à flatter ?de façon démagogique l’électorat arménien, et d’autre part à caresser dans le sens du poil l’électorat, beaucoup plus large, qui veut tenir la Turquie à distance de l’Europe. Ce faisant, et quel que soit le jugement que l’on porte sur l’éventuelle entrée de ce pays dans l’Union européenne, elle ignore, troisième faute, le travail de la société turque sur elle-même : les positions des Arméniens de ce pays, qui ne sont pas demandeurs d’une telle loi en France, ou la poussée du nationalisme turc, qui trouve en cette loi un aliment supplémentaire pour prospérer dans ses appels à la radicalité souverainiste et à l’autoritarisme. Elle ignore, tout aussi bien, la situation géopolitique au Moyen-Orient, et notamment la délicate question des relations entre l’Arménie et la Turquie.
Elle affaiblit tous ceux qui, en Turquie comme ailleurs, s’efforcent de transformer la question arménienne en un débat démocratique reposant sur un ensemble d’échanges sérieux où des historiens compétents confrontent leurs travaux.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires