Les Sudistes

Hauts fonctionnaires, opérateurs économiques, élus locaux ou militants associatifs, ils contribuent au dynamisme des provinces sahariennes.

Publié le 22 octobre 2006 Lecture : 10 minutes.

Mohamed Salah Tamek
Wali de la région Oued Eddahab-Lagouira
Un ancien militant guévariste nommé au poste de wali, voilà un symbole éclatant de l’évolution du Maroc aujourd’hui. À la fin des années 1970, Mohamed Salah Tamek a écopé de cinq ans de prison pour atteinte à la sûreté de l’État. Depuis, il s’est éloigné de l’extrême gauche, mais il a conservé intacte sa foi de militant. Professeur d’anglais de formation, cet universitaire est désormais haut fonctionnaire. Il a été nommé gouverneur à Chichaoua en 1998, puis ambassadeur du royaume en Norvège en 2004, avant de mettre son énergie au service des quelque 100 000 habitants de l’extrême Sud. Depuis sa prise de fonctions, en juin 2005, le développement des infrastructures de base et le relogement des populations les plus mal loties figurent parmi ses priorités. Mais une lutte efficace contre les inégalités sociales nécessite une assise économique stable. Aussi travaille-t-il à sortir la région Oued Eddahab-Lagouira de sa dépendance vis-à-vis de la pêche. Après avoir massivement misé sur l’exploitation du poulpe, la ville de Dakhla a connu entre 2001 et 2005 une crise sans précédent, conséquence de la raréfaction de la ressource. Un repos biologique a été institué pour permettre son renouvellement, et les pêcheurs se sont reportés sur d’autres espèces. Mais au-delà, c’est sur une véritable diversification que table le wali. Agriculture hors sol, élevage de chameaux, écotourisme Mohamed Salah Tamek sait que sa région dispose d’atouts certains. Et que sa position charnière entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne la destine à jouer un rôle croissant dans les échanges Nord-Sud.

Ahjabouha Zoubeir
Présidente de l’Association marocaine des femmes ?entrepreneuses pour le développement (Amfed)
Elle jongle avec ses téléphones portables comme un véritable homme d’affaires. Directrice d’école et membre du Conseil royal consultatif pour les affaires sahariennes (Corcas), née à Laayoune, mariée à « un Marocain du Nord » et mère de deux enfants, Ahjabouha Zoubeir préside également l’Association marocaine des femmes entrepreneuses pour le développement (Amfed). Constituée en juillet 2005, celle-ci doit compter d’abord sur elle-même. Il est vrai que le non-interventionnisme des bailleurs de fonds dans les territoires du Sud la prive de précieuses subventions. Déjà très présente dans les régions méridionales du royaume, l’Amfed accueille des femmes de tous horizons. « La majorité de nos adhérentes viennent du secteur des services, qu’il s’agisse du commerce, du tourisme ou de l’enseignement, explique Ahjabouha Zoubeir. Mais certaines travaillent dans l’agriculture et, plus rarement, dans l’industrie. »
En décembre dernier, l’association a organisé une rencontre pour promouvoir les activités génératrices de revenus en milieu rural. Un projet de développement du tourisme et de l’artisanat a également été lancé à Tarfaya. Parallèlement, l’association dispense des formations en gestion des microentreprises, veille à l’alphabétisation de ses membres et envisage de développer des services de microcrédit. Enfin, elle projette d’ouvrir un Club de la femme à La Marsa, près de Laayoune. Un lieu de rencontres et de loisirs qui comprendrait une piscine, une salle de sport, une salle de massage et une bibliothèque.

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Rachid Roussafi
Directeur de Dakhla Attitude
Voilà trois ans que Rachid Roussafi a posé son sac à la pointe du Dragon, à 30 kilomètres au nord de Dakhla. Depuis, ce professionnel de la glisse n’en démord pas : la côte du Sahara abrite incontestablement un « spot » d’exception. Spécialiste de la pratique des sports nautiques depuis de longues années, ce jeune homme de 35 ans est originaire d’Agadir, mais il a vécu à Hawaï durant sept ans. Champion de windsurf depuis 1995, il a participé à de nombreuses compétitions internationales. Il fut même le premier Africain et Arabe à concourir dans cette discipline aux jeux Olympiques de Sydney, en 2000. Converti l’année suivante au kitesurf, une discipline où la planche est tractée par une aile volante, il a finalement choisi de rentrer au pays, où il a trouvé un site à la mesure de son talent.
Son camp de base est situé au fond de la lagune de Dakhla, dont les reflets bleu vert s’étirent sur 400 km2. Doté de conditions météorologiques idéales, le lieu bénéficie de températures modérées et de vents soutenus, indispensables pour la pratique de la voile. Et si le clapot de la lagune peut sembler trop calme aux plus audacieux, rien n’empêche de s’offrir une escapade sur l’océan, situé à quelques encablures. Ce paradis de la glisse est désormais réputé dans le petit monde des surfeurs. À tel point qu’il concurrence aujourd’hui les sites les plus fréquentés, notamment des Caraïbes ou d’Égypte. À proximité de l’Europe de l’Ouest, il reçoit depuis 2003 des groupes et des amateurs en provenance de France, d’Allemagne, d’Angleterre, d’Italie ou de Belgique. À la pointe du Dragon, une équipe d’une douzaine de personnes accueille quelque 1 300 surfeurs par an. Dans cet environnement minéral peuplé de gerboises, de dauphins et de crabes violonistes, Rachid se propose maintenant de moderniser les infrastructures d’accueil. Un investissement de 10 millions de dirhams sera réalisé dans les prochains mois pour rendre le campement de Dakhla Attitude plus confortable. Sans pour autant dénaturer les lieux. Ni troubler le repos des crabes violonistes.

Younès Hasnaoui Amri
Directeur de l’hôtel Sahara Regency de Dakhla
Ce n’est qu’en août 2002, après être resté fermé durant dix ans, que le Sahara Regency a rouvert ses portes. Mis en concession par l’État, cet établissement de standing, qui compte 82 chambres, est désormais un lieu incontournable. Pourtant, son directeur, Younès Hasnaoui Amri, a connu des débuts difficiles. « Nous avons investi 7 millions de dirhams pour relancer l’établissement, raconte-t-il, juste au moment où est survenue la crise du poulpe. Le tourisme était alors au point mort et Dakhla était le lieu de rassemblement des voyageurs qui voulaient gagner la Mauritanie sous escorte de la gendarmerie. » Aujourd’hui, la donne a bien changé, et la région offre de larges possibilités pour développer un tourisme de niche. Qu’il s’agisse de surf, de raids dans le désert ou de pêche au gros, Younès Hasnaoui Amri s’est équipé d’un bateau pour proposer des sorties en mer à tous ceux qui souhaitent traquer la carangue, la raie ou le requin. Et il croit fermement aux potentialités de la région, dont il est tombé amoureux. La preuve : né de père marocain et de mère irlandaise, il n’a pas hésité à quitter Paris et le marketing pour se lancer dans l’hôtellerie en plein Sahara.

Salek Aouissa
Président de l’association Khnifiss
Le voyageur qui se rend de Tan-Tan à Tarfaya ne peut manquer de faire escale à Naïla. En ce lieu resté hors du temps, les dunes du Sahara se jettent dans l’océan, donnant naissance à une lagune qui s’étire paresseusement sur une vingtaine de kilomètres. Dans cet écosystème exceptionnel, la faune et la flore font l’objet d’une attention particulière, le site étant aujourd’hui classé en parc national. Et l’association Khnifiss (du nom du petit village qui borde la lagune), créée en 2001, contribue à sensibiliser le public aux beautés des lieux. Son président, Salek Aouissa, n’oublie jamais de préciser qu’il s’agit d’abord de « protéger cet environnement fragile tout en développant les activités éco-touristiques génératrices de revenus pour les populations locales ». Fonctionnaire à la Direction régionale de l’équipement et natif de Khnifiss, il a décidé de se consacrer à la sauvegarde du site qui, il est vrai, le mérite. Cette zone humide littorale de 6 500 hectares est sans doute le seul parc au monde à réunir les composantes du désert, de l’océan et de la lagune. Cette configuration lui confère une grande diversité de biotopes et donc une énorme richesse de flore et de faune. On y a recensé plus de 140 invertébrés marins, 17 reptiles et amphibiens, 27 mammifères et 179 oiseaux. La lagune accueille d’innombrables flamants roses, qui côtoient goélands railleurs, cormorans huppés et autres foulques noires. Cette formidable richesse ornithologique constitue un atout déterminant pour attirer les visiteurs. Reste à développer des structures d’accueil éco-touristiques (essentiellement sous tente) pour que l’observation de la nature ne se fasse pas à son détriment. Alors que certains rêvent d’imiter les Canaries et de transposer sur le littoral saharien la recette qui a fait le succès de cette destination, l’association Khnifiss est convaincue de la nécessité de préserver le patrimoine naturel des côtes sahariennes. Et il suffit de s’égarer quelques heures sur le rivage de Naïla pour mesurer combien elle a raison.

Moulay Hamdi Ould Errachid
Député de la wilaya ?de Laayoune-Boujdour-Sakia el-Hamra
Même moustache et même crâne dégarni Moulay Hamdi Ould Errachid aurait pu rester éternellement dans l’ombre de son frère Khalihenna Ould Errachid, le président du Conseil royal consultatif pour les affaires sahariennes (Corcas), et maire de Laayoune, la capitale des provinces du Sud. Au Sahara pourtant, Moulay Hamdi se fait progressivement une place au soleil. Premier vice-président du conseil municipal, il profite indirectement des fonctions nationales de son cadet pour récupérer certaines de ses prérogatives communales. Au niveau régional également, il a su s’imposer comme une figure incontournable. Député de la wilaya de Laayoune-Boujdour-Sakia el-Hamra, président du Conseil régional du tourisme, vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie, homme d’affaires : à tous les échelons, Moulay Hamdi n’est jamais très loin des centres de décision. Un cumul qui ne laisse pas indifférent : dans la région, l’omnipotence de la famille sur la scène politique locale ne va pas sans susciter commentaires et critiques.
Apparemment, l’édile n’en a cure et, dans son grand bureau, il tient régulièrement salon. Confiant, la voix pleine d’assurance, il y défend sans relâche – et sans surprise – que le tourisme est l’avenir du Sahara. Son grand projet : attirer vers les plages vierges de la région une partie des 13 millions de touristes qui envahissent chaque année les îles Canaries. Situé à une demi-heure d’avion de Laayoune, l’archipel espagnol fait figure d’eldorado touristique. « Les gens en ont marre des immeubles en béton. Ils recherchent la nature », plaide-t-il. Soleil, dunes et oasis à volonté : il ne manquerait rien pour transformer le sable du désert en lingots d’or. La présence de la Minurso, la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental, ne risque-t-elle pas de contrarier ces promesses ? « C’est un faux problème, car on se sent ici en sécurité », répond l’intéressé.

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Abdalahi el-Hairach
Coordonnateur du Réseau Sources Sakia el-Hamra (RSSH) pour le développement durable
« Dans des provinces reculées comme la nôtre, où les grandes organisations internationales et les cadres bien formés font cruellement défaut, on n’a pas le choix. Il faut se prendre en main ». Tel est le credo d’Abdalahi el-Hairach, le coordonnateur du Réseau Sources Sakia el-Hamra (RSSH) pour le développement durable. Drapé dans sa deraa bleu et or, le vêtement traditionnel sahraoui, l’homme n’est pas du genre à se décourager, même si la tâche peut sembler insurmontable. « Évidemment, la situation politique et le manque de financement ne jouent pas en notre faveur, explique-t-il. Mais on ne peut pas rester les bras croisés. » À 47 ans, Abdalahi a donc retroussé ses manches. En octobre 2004, il a participé à la création du RSSH, une structure rassemblant 11 associations spécialisées dans des domaines aussi divers que l’environnement, l’éducation ou la promotion du travail des femmes. Objectif ? Promouvoir le développement du Sud marocain, via la constitution d’un vivier de jeunes rompus à l’encadrement associatif. Environ 150 personnes devraient être ainsi formées dans les mois à venir, en partenariat avec l’Initiative nationale de développement humain (INDH) et l’Agence de développement social (ADS). Elles alimenteront collectivités locales, associations et coopératives. Fils de militaire et directeur des études à l’Institut de formation aux carrières de la santé, Abdalahi est aussi très engagé politiquement. Membre du Conseil royal consultatif pour les affaires sahariennes (Corcas), il croit avant tout au débat direct entre Sahraouis plutôt qu’aux pourparlers aléatoires entre chefs pour résoudre la crise. Il ne cesse de répéter que le dialogue est l’une des meilleures thérapies.

Salima Naji
Architecte et anthropologue, rénovatrice du ksar d’Assa
A l’entendre, Salima Naji détonne dans l’univers de l’architecture : parce qu’elle est une femme et parce qu’elle est jeune. Elle a même poussé l’excentricité jusqu’à devenir, à 35 ans seulement, l’une des principales spécialistes de l’art des régions présahariennes du Maroc… Bardée de diplômes – elle a étudié à l’université Paris-VIII, à l’École normale supérieure de Cachan, à l’École d’architecture de Paris-La Villette et aux Arts du spectacle de Florence (Italie) -, rattachée au laboratoire d’anthropologie du Maghreb auprès de l’École des hautes études en sciences sociales (Ehess) de Paris, elle arpente la région depuis 1993 au gré de ses recherches sur les kasbahs, ksours et greniers-citadelles berbères. Des travaux dont elle est en train de tirer son quatrième ouvrage et qui lui ont permis de monter une exposition à Paris, à l’espace Electra de la fondation EDF, dont elle avait reçu le prix Jeune Architecte en juin 2004.
Depuis le mois de février dernier, elle se consacre à la restauration du ksar d’Assa, dans la wilaya de Guelmim, situé sur un piton fortifié de 9 hectares, surplombant une superbe palmeraie, ancienne étape des caravanes datant du XIIIe siècle. Délaissé par ses habitants qui lui ont préféré, il y a une vingtaine d’années, la ville nouvelle sortie de terre non loin de là, le site tombait en ruine lorsque Salima a été sollicitée.
La cure de jouvence a commencé rapidement avec les travaux de restauration d’une tour et d’une partie des remparts. L’architecte entend défendre une conception respectueuse de l’environnement et de la culture des lieux. Son approche associe mémoire et savoir-faire locaux sur le chantier, en vue d’une restitution qui conjugue esthétisme et fidélité. Enthousiaste, disponible, la jeune femme n’a pourtant pas sa langue dans sa poche quand il s’agit de réaliser son projet. En vraie passionnée.

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