L’amour, toujours l’amour

Une journée comme les autres au tribunal de première instance de Tunis.

Publié le 22 octobre 2006 Lecture : 3 minutes.

On a tort de ne fréquenter les tribunaux que lorsqu’on a affaire à la justice. On y apprend beaucoup de choses sur les moeurs de ses contemporains. Le tribunal de première instance de tunis est un bâtiment de style néo-mauresque, classé monument historique en 2001. Dans la cour d’entrée, plusieurs dizaines d’hommes et de femmes en robe noire, dossiers sous le bras et mine de circonstance, accompagnent leurs clients, souvent morts de trac, vers les différentes chambres du palais de justice. Pour accéder au tribunal, il faut montrer patte blanche. Assis derrière une table de bois branlante, un planton prend tout son temps pour vérifier l’identité des arrivants.
A l’intérieur, l’exiguïté relative des lieux crée une fâcheuse promiscuité. Les aspirants au divorce se voient ainsi contraints de côtoyer celle (ou celui) qu’ils souhaitent le plus au monde éviter : leur futur ex-conjoint. Des délinquants chevronnés voisinent avec des citoyens cités à comparaître pour un litige mineur. Au premier étage, l’ambiance est lourde, le silence de rigueur. Ce jour-là est un jour d’audience comme les autres. Ni grandes affaires ni scandales retentissants, mais des gens de tous âges et de toutes conditions attendant d’être fixés sur leur sort.

Larmes de crocodile. Les poings serrés et les yeux hagards, Radhia R. (62 ans) respire avec difficulté. Et pas seulement à cause de la chaleur étouffante. Après quarante ans de mariage et trois enfants, son mari est parti avec une autre, de vingt ans plus jeune. Classique, mais Radhia n’a toujours pas compris ce qui lui est arrivé. En perdant son mari, elle a aussi perdu son passé et, plus grave, son avenir. D’autant qu’elle a découvert juste après qu’elle était atteinte d’un cancer du sein. « On ne divorce pas à 60 ans comme à 25, sanglote-t-elle. J’ai sacrifié ma vie à un monstre. » Elle pointe du doigt l’extrimité de la salle. Le « monstre » en question est un vieil homme chétif, engoncé dans ses habits de cérémonie. Soudain, Radhia explose et l’abreuve d’injures. Son avocate l’entraîne précipitamment dans le couloir.
Le couple est bientôt introduit dans le bureau du juge de la deuxième chambre civile, pour la séance de conciliation, hors de la présence des avocats. Les admonestations du magistrat et les plaintes de Radhia restent vaines : le mari veut à toute force divorcer. Le juge change alors de ton. D’une voix solennelle, il évoque le préjudice subi par l’épouse. M. R. va devoir verser une pension mensuelle conséquente, calculée en fonction du train de vie auquel ladite épouse était habituée et du préjudice moral consécutif au choc émotionnel qu’elle a subi. Et là, coup de théâtre, M. R. fond en larmes. Brusquement, il ne veut plus entendre parler de divorce. Dans un sanglot, il confie au magistrat qu’il est toujours épris de sa femme. Apparemment, il n’y a pas que l’amour qui fasse des miracles !

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L’amor… aux rats. Un peu plus loin, devant la quatrième chambre criminelle, un tout autre drame se joue. Pour punir son mari volage, Fathia T., 35 ans, a utilisé les grands moyens : une bonne dose de mort-aux-rats dans son café du matin. Quelques semaines plus tard, l’époux passe de vie à trépas. Les autorités sanitaires concluent d’abord à une mort naturelle, mais le comportement de la jeune femme intrigue : elle ne manifeste aucun signe de chagrin. La belle-famille ayant fait part de ses soupçons à la police, une autopsie et des tests toxicologiques sont pratiqués sur le défunt. Les résultats le confirment : il y a eu empoisonnement. Au cours d’une perquisition au domicile conjugal, la police découvre une boîte de mort-aux-rats dissimulée derrière la machine à laver. Au tribunal, menottes aux poignets, Mme T. s’obstine à nier : comment aurait-elle pu assassiner un homme qu’elle adorait ?

Piégeur piégé. La troisième affaire de la journée est très morale. M et Mme S. vivent paisiblement avec leurs deux enfants dans une grande villa de la banlieue nord de Tunis. La résidence est enregistrée au nom du mari, mais l’épouse ne s’en inquiète pas : elle a une confiance aveugle en son conjoint. Or voilà que, par hasard, elle découvre que la maison familiale a été vendue et appartient désormais à une certaine Mme C. Laquelle, toute la ville le sait et s’en amuse, n’est autre que la maîtresse de son mari. Bouleversée, Mme S. exige une explication, que M. S. refuse : « Je vais demander le divorce », lui lance-t-il. Il parvient à ses fins et épouse sa nouvelle dulcinée. Quelques mois plus tard, celle-ci le congédie. Penaud, il renoue avec son ex-épouse. Tous deux s’adressent au tribunal pour tenter de récupérer leur maison…

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