Islam et démocratie

Publié le 22 octobre 2006 Lecture : 4 minutes.

Les musulmans fêtent la fin du ramadan, mois de jeûne et d’abstinence. Jusqu’à ce fatidique 11 septembre 2001, où certains d’entre eux ont osé attaquer l’Amérique chez elle (et lui ont infligé un traumatisme dont elle a du mal à se relever), ils donnaient l’impression d’être des « oubliés de l’Histoire ».
Ils s’exprimaient peu, en tout cas, et on parlait encore moins d’eux.

Depuis cinq ans, c’est l’inverse : les plus activistes d’entre eux parlent haut et fort, et même à tort et à travers, agissent sans retenue. Les États-Unis leur ont déclaré la guerre et mènent contre eux une croisade aussi impitoyable que planétaire, et qui fait de moins en moins la différence entre islamistes et musulmans.
Des esprits distingués – américains et européens – en sont arrivés à dire aux musulmans que c’est leur religion qui fait problème puisqu’elle charrie beaucoup de violence et conduit le monde à un « choc des civilisations ». Du coup, dans leur ensemble, les musulmans des cinq continents se sentent agressés, objets d’une vindicte dont ils ne parviennent pas à saisir tous les ressorts.

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L’argument le plus communément utilisé contre les musulmans est que leur communauté est la plus réfractaire du monde à la démocratie.
Le grand islamologue américain Bernard Lewis en a aisément convaincu George W. Bush, et ce dernier a passé les cinq dernières années à faire la guerre à deux pays musulmans pour les conduire à la démocratie par la force. On n’exclut pas qu’il s’attaque, l’année prochaine, à un troisième
Si l’actuel président américain avait été capable d’un examen serein et objectif du monde musulman, il aurait découvert ceci, qui l’aurait étonné et, peut-être, fait réfléchir.

1. Le nombre de musulmans n’est pas connu avec exactitude parce qu’ils vivent dans plus de 160 pays, dont beaucoup n’ont pas de recensement fiable ou bien ne décomptent pas leurs citoyens (ou habitants) en fonction de leur religion.
Intéressée par l’islam, la CIA américaine, dont ?les chiffres ne sont pas forcément fiables, estime le nombre des musulmans à 1 milliard et demi ; les autres sources donnent 1,2 milliard ou 1,3 milliard. ?On peut affirmer sans risque d’erreur que les musulmans constituent 20 % de la population mondiale ?et qu’un être humain sur cinq est musulman.
Le graphique ci-dessous, établi par nous avec le plus grand soin, montre à tous ceux qui veulent bien le voir qu’un tiers des musulmans (500 millions) est déjà en démocratie et qu’un autre tiers vit dans des pays en marche vers la démocratie.
Conclusion : contrairement aux idées reçues et à l’impression qu’on en a, près de deux tiers des musulmans bénéficient déjà, ou sont en passe de bénéficier, des bienfaits de la démocratie.

L’islam asiatique – hors Moyen-Orient – est démocratique (des femmes y ont été chefs d’État ou de gouvernement bien avant que d’autres femmes n’occupent la même fonction en Europe) ; l’islam africain est démocratique ou en transition vers la démocratie. Voir graphique n° 2.
Le plus grand pays musulman, l’Indonésie, est une démocratie ; la Malaisie en est une autre et la Turquie une troisième ; les 150 millions de musulmans de la République indienne (dont le président est musulman) vivent sous régime démocratique.
En Afrique, au sud du Sahara, le Sénégal et le Mali, pays musulmans, sont des démocraties reconnues comme telles.
Au nord du Sahara, quatre des cinq pays du Maghreb sont en transition démocratique plus ou moins avancée.

2. Ce qui fait croire au monde que l’islam ne favorise pas la démocratie, ou même la contrecarre, ce sont les pays arabes. C’est là, et là seulement (ou presque), que le bât blesse.
Notre graphique n° 3 le montre : aucun des pays qui abritent Arabes, arabisés et arabophones n’est reconnu sans contestation comme pleinement démocratique, même si certains, à plus ou moins juste titre, y prétendent.
Là, il y a du chemin à parcourir. Mais cet indiscutable retard est-il imputable à l’islam ?
Je ne le crois pas. Pourquoi l’islam n’a-t-il pas empêché une bonne majorité des musulmans non arabes d’accéder ou d’être en voie d’accéder à la démocratie ?

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Les Arabes perpétuent une tradition politique séculaire – peuvent-ils la transgresser ? – qui consiste à se donner à un roi ou à un président – le raïs -, qu’ils suivent « comme le chameau suit son guide ».
Et ils ne sont pas doués pour les fonctions d’opposants : dans les pays arabes, les oppositions sont généralement faibles et divisées, ou circonvenues par les pouvoirs.
Ou, à l’opposé, elles sont de conjuration et de violence.
S’ils veulent trouver une place dans la caravane de la démocratie et épouser le XXIe siècle, les Arabes doivent entreprendre et réussir une vraie révolution culturelle.
Ce sera long et l’on n’en voit guère les premiers signes.

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