Ceci n’est pas une critique cinématographique

Publié le 22 octobre 2006 Lecture : 3 minutes.

Vous allez encore au cinéma, vous ? Je veux dire : vraiment dans une salle, avec des gens autour de vous, des gens de chair et de sang, des étrangers avec lesquels vous allez rêver, rire ou pleurer deux heures durant ? Finalement, c’est assez curieux, cette intimité un peu forcée. Quand les lumières se rallument, on est un peu gêné d’avoir vécu tant d’aventures à côté de gus et de donzelles qu’on ne connaît ni d’Ève ni d’Adam. On évite un peu de croiser leurs regards, on tripote nerveusement ses clefs en faisant la queue pour sortir, on toussote. En tout cas, c’est mon cas, mais peut-être êtes-vous du type « je ne crains personne, je regarde n’importe quel pékin droit dans les yeux, ôte-toi de mon chemin ».

Moi, aller au cinéma, je ne le fais plus qu’exceptionnellement. Le DVD et le home cinema n’ont pas été inventés pour les chiens. Au moins, chez soi, on ne risque pas de tomber sur une bande de collégiennes qui attrapent le fou rire pendant un film de Bergman (expérience authentique, hélas) ni sur un couple en pleine scène de ménage :
– C’est toi qui as voulu voir ce film stupide !
– Comment ça, stupide ? C’est toi qui ne comprends jamais rien à rien !
Le couple en question en vint aux mains, ce qui illustra pour moi une phrase que je ne connaissais jusqu’alors que théoriquement : le spectacle est dans la salle.
Et pourtant, hier, j’ai de nouveau plongé, incapable de résister à l’appel du déjà fameux film égyptien L’Immeuble Yacoubian, que je vous recommande chaudement même s’il est un peu long (2 h 50). N’y allez pas avec vos parents ni avec des enfants en âge de traumatisme, car il comporte des scènes choquantes – pas pour moi ni pour vous, qui sommes gens du monde, mais pour vos parents confits en religion et pour les mouflets.
Ceci n’est pas une critique cinématographique, donc je ne dirai rien du film, même pas de l’excellente interprétation de l’acteur Adel Imam, l’idole de mes tantes, qui se révèle un professionnel de grand talent. En fait, ce dont je veux parler, c’est de la salle. Eh oui, hein, le spectacle est dans la salle. La salle en question était située sur les Champs-Élysées, à Paris. Mais elle avait été prise d’assaut par des coquettes de Tanger ou d’Alger, des intellos de Tunis ou de Rabat, des Égyptiens charmants et blagueurs, des gens du Golfe déguisés en gens normaux et quelques Français aux idées larges. Et ça papotait, ça riait, ça conversait en direct avec les personnages du film (« Non, ne l’épouse pas, c’est un s ! »). Pas loin de moi, une Marocaine était carrément entrée dans le film, qu’elle commentait à haute voix, en direct, sans doute pour l’usage des aveugles qui devaient peupler la salle.

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Le plus extraordinaire, c’est que tout cela ne me gênait pas outre mesure. Je croyais revivre les heures envolées de l’adolescence où, au cinéma l’Arc ou au Rialto, à Casablanca, le public participait bénévolement au film, au point parfois d’essayer d’abattre le méchant d’un jet de babouche bien ajusté. J’ai failli entrer dans la danse (« Bouthaïna, gifle-le donc, ce gros porc libidineux ! »), mais on ne se refait pas quand on a été reformaté par vingt ans de rigueur calviniste.
Finalement, aller voir L’Immeuble Yacoubian, surtout en Europe, c’est s’acheter un bon bain chaud de nostalgie pour quelques euros. C’est plutôt une bonne affaire

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