Nouvelles de la censure

Publié le 22 juillet 2007 Lecture : 5 minutes.

Les deux principaux motifs de censure au cinéma, comme dans la littérature, ont toujours été les mêmes : la politique et le sexe, quand des scènes sont jugées pornographiques. Côté sexe, la question a été en partie résolue depuis les années 1970-1980 par la transformation de la censure « morale » en censure « économique », en tout cas dans les pays occidentaux : au-delà de réglementations classiques « pour protéger les mineurs » (interdictions d’entrée dans les salles avant un certain âge), diverses mesures fiscales et d’exclusion des aides au septième art ont achevé de confiner les films considérés comme pornographiques dans un tout petit réseau de salles consacrées à ce genre.

De plus, l’essor de la vidéo et surtout des chaînes de télévision spécialisées ont créé un espace « à part » où peut prospérer le porno. Résultat : il n’y a théoriquement presque plus de porno projeté pour le « grand public » et tout le monde peut en voir sans difficulté (deux tiers des adolescents français ont vu au moins un film pornographique dans les douze derniers mois, d’après une récente enquête d’un institut officiel des plus sérieux). Se pose certes le problème des films que leurs auteurs considèrent comme simplement érotiques ou ne comportant que les scènes de sexe nécessaires à leur propos artistique, ce qui crée des situations limites, bien ou mal résolues au cas par cas malgré la tolérance de plus en plus grande pour l’érotisme sur les écrans. Ainsi se souvient-on, pour ne prendre que deux exemples, des polémiques lors de la sortie du film Baise-moi de Virginie Despentes il y a quelques années en France ou, plus récemment, autour du long-métrage de Nabil Ayouch, Une minute de soleil en moins, une commande de la chaîne Arte, qui n’a pu être diffusé au Maroc.
Reste la censure politique. Autrement dit la censure concernant aussi bien les films comportant des critiques du pouvoir que ceux abordant des sujets historiques ou de société. Elle est en général plus insidieuse, ne s’avouant pas comme telle, et, contrairement à ce que l’on croit, concerne tous les pays, à des degrés variables évidemment selon le régime politique plus ou moins autoritaire et plus ou moins « susceptible » face à certains sujets. Des cas récents ? En Chine, on sait que l’an dernier, malgré (ou à cause de ?) sa sélection à Cannes, Summer Palace de Lou Ye a été interdit de diffusion, et son auteur privé de sa licence de cinéaste pour cinq ans : il s’était il est vrai attaqué dans un seul film à deux tabous, l’un politique, les événements de la place Tienanmen en 1979, et l’autre sexuel, avec la présence de scènes d’amour physique explicites, donnant deux motifs d’agir aux censeurs. Mais la raison officielle de cette interdiction était évidemment autre : le long-métrage n’avait pas obtenu le visa des autorités pour sortir du pays !
Quant au tout récent Persepolis de l’Iranienne exilée en France Marjane Satrapi, adapté de sa célèbre série de bandes dessinées, Téhéran n’a pas eu à l’interdire explicitement puisque son auteur n’a jamais imaginé que cette charge contre le régime islamiste pourrait être mise à l’affiche dans son pays. Cela n’a pas empêché une fondation liée au régime de protester, en vain évidemment, contre la diffusion de cette uvre jugée caricaturale – le propre d’une bande dessinée pourtant ! – au mois de mai dernier peu avant sa sortie en Europe. Et un censeur inquiet des réactions des islamistes locaux de déprogrammer en juin l’uvre du Festival international du film de Bangkok, en Thaïlande.

la suite après cette publicité

En France même, le mois dernier et sur un mode mineur, la dernière Palme d’or de Cannes, le film roumain Quatre mois, trois semaines et deux jours, a failli être interdite de projection dans les lycées sous prétexte que son sujet risquait de passer auprès des adolescents pour une apologie de l’avortement. Un comble pour qui a vu ce film fort subtil et mesuré et surtout pour qui sait que son auteur se dit régulièrement opposé à l’avortement. Aux États-Unis, par ailleurs, Michael Moore se déclarait au mois d’avril inquiet d’un risque de censure économique de son dernier film, Sicko, une critique féroce du système de santé américain « vendu au privé », à la suite de possibles attaques juridiques des multinationales pharmaceutiques qui se sont bien gardées finalement de lui assurer cette publicité. Il craignait également – à tort là encore en fin de compte – que les autorités ne lui intentent un procès « politique » dans la mesure où il a tourné des scènes du film à Cuba, ce qui est illégal aux États-Unis.
Aujourd’hui même, c’est en Algérie qu’une polémique oppose les autorités et le réalisateur Jean-Pierre Lledo. Ce dernier, dans son documentaire à peine achevé Ne reste dans l’Oued que ses galets, poursuit son travail de mémoire cinématographique sur l’Algérie coloniale et la guerre d’indépendance. Mais cette fois en abordant de front des sujets controversés : les massacres collectifs ou assassinats ciblés de civils perpétrés non pas par le colonisateur mais sous la responsabilité de dirigeants de l’ALN, l’exode des communautés non arabo-musulmanes à partir de 1962 et ses conséquences sur le destin de l’Algérie indépendante. Ce film n’a pas été programmé comme prévu en juin et ses projections publiques en avant-première à Alger, Constantine et Oran ont été interdites. Motif principal alors invoqué, de nature « technique » : Lledo n’a pas respecté son cahier des charges qui, en l’échange d’une subvention du ministère algérien de la Culture, prévoyait un film de cinquante-deux minutes et non pas, comme c’est le cas finalement, un documentaire de trois heures – de surcroît non soumis aux autorités pour approbation. Aujourd’hui – et sans doute pour longtemps, craint le réalisateur – le visa d’exploitation se fait attendre. Les défenseurs du film, notamment certains journalistes algériens conviés à des projections privées, disent, sans soutenir nécessairement le contenu du long-métrage souvent jugé pour une part critiquable, qu’on devrait laisser le public juger par lui-même de la pertinence de l’uvre. D’aucuns font perfidement remarquer qu’il est quelque peu contradictoire de vouloir bénéficier d’une totale liberté d’expression tout en se faisant subventionner par les autorités. L’affaire en est là et le public non algérien pourra en tout cas se faire sa propre opinion dans trois mois environ lors de sa sortie de l’autre côté de la Méditerranée.

Même sans croire naïvement à une possible disparition totale de la censure, on peut remarquer qu’il est heureusement rare de nos jours que les interdictions, quelles qu’en soient les raisons, arrivent véritablement à leurs fins. Elles feraient plutôt de la publicité aux uvres interdites – presque toujours disponibles finalement d’une façon ou d’une autre – et à leurs auteurs. Quand elles ne ridiculisent pas les autorités. Par exemple celles qui, à Pékin, ont jugé utile le mois dernier de faire couper dans le blockbuster américain Pirates des Caraïbes 3, les dix minutes où apparaît un Chinois, le capitaine Sao Feng, dont l’image et l’humour sont jugés inacceptables.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires