Mutations contre Mutations

Le quotidien indépendant le plus influent du Cameroun est secoué par la crise que provoque la démission de son directeur, Haman Mana.

Publié le 22 juillet 2007 Lecture : 3 minutes.

C’est l’épilogue d’une belle aventure. Haman Mana, un des fondateurs, il y a onze ans, du quotidien indépendant le plus influent du Cameroun et peut-être de la Cemac, a fini par démissionner le 16 juillet de son poste de directeur de publication de Mutations. En conflit ouvert depuis plusieurs mois avec l’actionnaire de référence, l’assureur Protais Ayangma, il a fini par rendre son tablier après la censure de son éditorial prévu pour l’édition du 16 juillet par le directeur de la rédaction.

Le démissionnaire s’est retiré avec une partie de la rédaction acquise à sa cause, non sans avoir menacé de poursuivre en justice la South Media Corporation (SMC), le groupe qui édite le quotidien dont il a pris soin d’immatriculer le titre à l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (l’OAPI). Dans les kiosques camerounais, deux Mutations devraient dorénavant cohabiter en attendant le dénouement judiciaire du litige.
Tout est parti d’une restructuration des organes de direction menée par le conseil d’administration de la SMC. Lors d’une session extraordinaire tenue il y a quelques semaines, les administrateurs décident de doter chacune des trois publications éditées par la SMC (le quotidien Mutations, le magazine hebdomadaire Situations et le supplément Les Cahiers de Mutations) d’un directeur de publication. L’objectif, selon le président du conseil d’administration, Protais Ayangma, est de donner de l’autonomie aux titres et « d’éviter de concentrer tous les pouvoirs entre les mains d’une seule personne ». Le conseil d’administration crée ensuite des postes de directeur général et de directeur de l’administration des finances pour l’ensemble du groupe, afin « d’améliorer la gouvernance ». Pour bien expliquer les choses aux lecteurs, le même actionnaire principal prend sa plume et se justifie dans un éditorial publié le 9 juillet : « Notre observation nous a permis de conclure qu’un bon journaliste n’était pas forcément un bon manager. [] Il est même possible que certains de nos collaborateurs aient pris des libertés avec l’éthique et la déontologie. »

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C’est à ce stade que la situation se détériore. Les tempéraments opposés de Haman Mana et de Protais Ayangma vont se télescoper et transformer un conflit initialement social en querelle de personnes. Le premier, Haman Mana, journaliste de 41 ans, fils d’un colonel de l’armée camerounaise, estime que son honorabilité est remise en question par l’éditorial du 9 juillet. Il a le sentiment d’être poussé vers la sortie et dépossédé de Mutations et des deux autres titres, « ses bébés ». Il est vrai que si la PME de départ est devenue une société anonyme dont il n’est que l’employé, il l’aura tout de même incarnée tout au long de sa décennie d’existence. Tant il a ferraillé et payé de sa personne pour imposer le titre dans un environnement très concurrentiel et un contexte sociopolitique difficile.
Ainsi, du 31 juillet au 3 août 2001, en tant que directeur de publication, il est placé en garde à vue pour avoir publié des textes classés « secret défense » dont le pouvoir réservait l’exclusivité à Cameroon Tribune, le quotidien concurrent à capitaux publics. On l’accuse de malversations financières ? Il répond qu’un journal « c’est une folie, c’est un rêve. C’est un peu plus complexe qu’une épicerie où, en faisant les comptes à la volée, on ne retrouve pas une boîte de sardines. » Il entend le dire en réplique dans un éditorial. Peine perdue, le texte est retiré du « marbre » par le directeur des rédactions.
Le deuxième, Protais Ayangma, est le capitaine d’industrie « cassant et réservé » qui finance en 1996 la création de Mutations avec la caution morale de Maurice Kamto, actuellement ministre délégué auprès du vice-premier ministre chargé de la justice au gouvernement camerounais. Onze ans plus tard, avec un chiffre d’affaires estimé à près de 400 millions de F CFA (600 000 euros), c’est une entreprise dont la croissance et l’influence sont considérables à l’échelle du pays. Aussi l’actionnaire principal a-t-il le souci de sécuriser son investissement par la mise en place d’une gestion rigoureuse et contrôlée. Mais, s’il s’est gardé d’infléchir la ligne éditoriale des titres jusqu’à ce jour, un journaliste du quotidien prétend que la création d’un comité éditorial chargé d’évaluer les publications des journalistes « est de mauvais augure ». La crise enfonce davantage une presse camerounaise déjà minée par les scandales et la précarité. La justice tranchera dans la querelle liée à la propriété des titres, que les juristes estiment mal engagée pour l’ancien directeur de publication.

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