À la recherche d’un pays

Publié le 22 juillet 2007 Lecture : 2 minutes.

Marianne a la nationalité française. De parents grecs, elle est née à Djerba, mais n’a pas de passeport tunisien. C’est pour ça que, régulièrement, elle confie, la gorge nouée : « Je crois que je n’ai pas de pays ! » Si, si, répondent ses amis en chur, tu n’en as que trop, des pays, la Tunisie, la France, la Grèce et l’île de Djerba ! Il n’y a qu’à voir cette façon que tu as de voler au secours de tes compatriotes tunisiens ! Je confirme moi aussi, ayant été témoin oculaire des scènes suivantes.
Marianne déteste le voile. Chaque fois qu’elle voit arriver dans sa classe une élève en fichu, ça la fait rentrer dans une colère monstre : « Mais pourquoi, pourquoi ce recul ? ! » fulmine celle qui ne comprend pas que ses compatriotes naguère les plus libérées du monde arabe se voilent à nouveau. Depuis quelque temps, certaines de ses élèves couvertes ne lui tendent plus la main, comme si serrer la main d’une non-musulmane menait droit en enfer. Et les fois où elle tombe sur une voilée plus amène, celle-ci conclut avec la même formule ambiguë : « Vous ne pouvez pas comprendre. »

Le voile commence à lui faire peur, et le scénario d’une radicalisation de sa douce Tunisie lui dessine le pire des cauchemars. Un jour, peut-être, elle sera prise à partie par une meute de voilées en délire, pour le simple motif d’être une fille de Jésus.
Et voilà Marianne pour quelques jours à Paris, dans un autobus où elle voit trois Françaises d’une soixantaine d’années s’en prendre à une jeune fille voilée : « Quelle horrible religion qui enferme ses femmes sous des tentes ! » lâche l’une, méprisante. « Si elle y tient, à son fichu, qu’elle rentre chez elle ! » renchérit une autre.
Personne ne bouge dans le bus, tout le monde regarde la jeune fille qui tente timidement : « Ici, je suis chez moi. Mon grand-père est tunisien, mais je suis française de troisième génération. Je ne vous ai pas reproché à vous vos décolletés ni vos cheveux teints. »

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C’est là où, sans réfléchir, Marianne s’avance vers la jeune voilée, se serre contre elle et lance à l’adresse des trois voyageuses racistes : « Vous n’avez pas honte d’agresser quelqu’un qui ne vous a rien fait ? L’islam ne vous plaît pas ? Qu’est-ce que vous en savez ? Cette jeune fille, au moins, connaît votre langue, vos codes et vos référents. Vous êtes des ignorantes et vous crèverez comme ça ! » avant de pousser devant elle la Beurette vers la sortie.
J’ai demandé à Marianne pourquoi elle a agi de la sorte. Elle a répondu : « C’était plus fort que moi. » Je m’attendais à tout sauf à ce qu’elle défende le voile. Et voilà qu’elle l’a fait, un jour gris, dans un autobus parisien où elle avait l’impression que la meute ce n’était plus les voilées aux relents intégristes, c’était ces Françaises à la laïcité salafiste.
Aux dernières nouvelles, j’ai appris qu’au cours d’une manifestation culturelle à Tunis Marianne s’est fait agresser à son tour par une Tunisienne de souche qui lui a asséné : « Ici, ce n’est pas ta place. Rentre chez toi, tu n’as rien à voir avec la Tunisie ! »
J’hésite encore. Que dois-je dire à Marianne la prochaine fois que je la verrai : qu’elle a un pays, ou que, malheureusement, elle n’en a aucun ?

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