Morne campagne

Publié le 22 mai 2005 Lecture : 4 minutes.

La crise de la filière arachidière sénégalaise n’est pas près de trouver son épilogue alors que la campagne a été officiellement lancée, le 15 mai, sur fond de grogne sociale. Les leaders paysans sillonnent le pays pour dénoncer la désorganisation des activités et les menaces qui planent sur l’avenir de 3 millions de personnes qui vivent de cette culture. Et attendent des réponses politiques appropriées. Mais le temps presse, les premières pluies ont commencé à tomber tandis que semences (150 kg, en moyenne par paysan) et engrais – trois sacs de 50 kg – tardent à arriver. Un problème récurrent, lié à la libéralisation du secteur.
Dernier soubresaut : la privatisation de la Société nationale de commercialisation des oléagineux du Sénégal (Sonacos) le 7 avril, aux termes d’un processus long et contesté, a provoqué l’ire du Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (CNCR) qui craint que l’arachide et la production d’huiles ne soient un peu plus pénalisées par la libre entreprise. Les producteurs redoutent que les repreneurs importent du soja ou du tournesol et les raffinent dans les usines du pays. Ils se mobilisent derrière cette centrale. Objectif : obtenir que le gouvernement fasse machine arrière et annule la privatisation comme elle l’a fait pour la Société nationale d’électricité (Senelec). Ils demandent aussi de faire revivre les coopératives et les points de collecte, et de restaurer le capital semencier. Bref, de recréer un système performant d’encadrement des activités, comme hier encore avec une Sonacos publique et sa filiale, la Société nationale de graines (Sonagraines) assurant les opérations de ramassage et de transport des récoltes, des champs aux usines de traitement.
Nostalgie ? Combat d’arrière-garde ? Les maux de la filière traduisent l’échec des programmes de libéralisation imposés par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international à la suite de la dégradation des matières premières sur le marché mondial.
Pour sauver la filière, le régime d’Abdou Diouf avait tenté de privatiser la Sonacos dès 1995. Sans succès. Deux ans plus tard, le gouvernement signait un accord-cadre avec le Comité national interprofessionnel de l’arachide (CNIA), pour coordonner l’intervention de bon nombre d’acteurs privés ainsi que le suivi des activités : distribution d’intrants, opérations de collecte, de transport et de commercialisation. Mais, dans la pratique, la Sonacos et sa filiale continuaient à assurer l’essentiel de ces opérations tandis que l’État gardait l’essentiel de ses missions de service public : gestion des calamités, recherche et certification des semences.
En arrivant au pouvoir en mars 2000, le président Abdoulaye Wade hérite de ce dossier brûlant : les paysans se plaignent de la baisse des cours mondiaux et les réformes ne sont pas engagées. Mais les bailleurs de fonds ne l’en poussent pas moins à relancer la privatisation de la filière. Dilemme : écouter la communauté internationale ou satisfaire les producteurs ? Ménageant la chèvre et le chou, le nouveau gouvernement décide d’encourager la Sonacos à emprunter massivement pour stimuler les revenus des agriculteurs et encourager l’activité économique. Et promet à ses interlocuteurs de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) de privatiser. Au cours de la saison 2001-2002, la société publique achète une quantité record de 600 000 tonnes d’arachide à un prix relativement favorable. La production retrouve le niveau d’antan à plus de 1 million de t. Mais, un an plus tard, la Sonacos se retrouve criblée de dettes, d’autant que le prix payé aux producteurs d’arachide se situait bien au-delà des cours mondiaux. Conséquence : les récoltes 2003-2004 (275 000 t) et 2004-2005 (572 000 t) seront moins importantes.
Parallèlement, la libéralisation patine… les intrants sont distribués tardivement, le transfert des activités de collecte et de commercialisation connaît des ratés. « Malgré les acomptes considérables reçus de la Sonacos, les opérateurs privés n’ont pas réussi à organiser l’acheminement des arachides à partir des lieux de production de manière satisfaisante », explique en substance Claude Freud, auteur de L’Arachide au Sénégal : un moteur en panne. Dans le nouveau système, les paysans livrent leur récolte aux points de collecte (également appelés « seccos »), mais ont bien du mal à se faire payer. Les opérateurs privés ne leur donnent souvent que des bons de crédit.
« Les paysans de Vélingara, dans le Sud-Est, courent toujours derrière leur argent trois mois après la clôture de la campagne », explique Marius Dia du CNCR. À l’arrivée : manque de crédit de campagne, démotivation et baisse de la production… Par ailleurs, les réformes engagées ne peuvent rien contre la baisse des cours mondiaux, l’impact des subventions versées à leurs agriculteurs par les États-Unis, premier producteur mondial d’arachide, ainsi que l’étroitesse des débouchés.
Pour sortir la filière de cette passe difficile, les pouvoirs publics tenteront-ils un énième plan de relance dans les mois qui viennent ? L’ampleur du mouvement, qui est en train de naître, le dira.

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