Les assassins de la langue française

Publié le 22 mai 2005 Lecture : 3 minutes.

« Pourquoi veulent-ils tuer le français ? » demande Bernard Lecherbonnier, professeur à l’université de Paris-XII. « Ils », ce sont tous ceux qui ont baissé les bras devant l’invasion de l’anglais : les fonctionnaires et les chercheurs obnubilés par leur plan de carrière, les milieux d’affaires dont l’unique préoccupation est l’argent, et surtout les hommes politiques qui, depuis une dizaine d’années, ont sacrifié la défense de la langue nationale aux impératifs économiques et aux « injonctions bruxelloises ».
Fustigeant avec la même virulence la gauche et la droite, les libertaires et les ultra-libéraux, l’auteur de ce pamphlet déplore tout à la fois le bradage du patrimoine littéraire, la mise à sac de l’enseignement et le déclassement du français sur la scène internationale. Dans l’extrait qui suit, il aborde l’« inféodation » des scientifiques français à la domination anglo-saxonne.

Science : sous la coupe anglo-saxone

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La question des publications occupe une place centrale dans le dispositif visant à positionner la langue anglaise comme seule langue de référence scientifique. Depuis que la production des ouvrages scientifiques de référence est essentiellement assurée par des éditeurs de langue anglaise, il n’est plus possible pour un chercheur d’exister et encore moins d’y exercer la moindre autorité intellectuelle sur la scène internationale s’il ne publie pas en anglais. Qu’il écrive un livre ou un simple article, il faut que ce soit en anglais, car seuls ceux-ci sont retenus dans les bibliographies et intégrés dans les banques de données sur support papier ou électroniques.
Par ailleurs, les comités de lecture des éditeurs et des revues étant totalement sous la coupe des grandes équipes de recherche américaines, le chercheur européen n’aura guère de chances de se faire publier s’il n’adopte pas le point de vue officiel de la recherche outre-Atlantique. Ainsi, pour faire accepter un texte, il convient surtout que le chercheur non anglo-saxon ne mise pas sur l’originalité : il sera préférable pour lui d’adopter un profil servile et de faire acte de suivisme par rapport à la recherche universitaire américaine. Cela explique pourquoi les travaux non anglo-saxons sont généralement considérés comme peu novateurs et peu intéressants par la communauté scientifique internationale, en tout premier lieu par les Anglo-Saxons. Il arrive que certains universitaires américains dénoncent eux-mêmes la perversion de ce système qui, de fait, exclut de la communauté scientifique la plupart des non-anglophones d’origine. Chacun sait que, dans certaines zones du monde, la Russie, l’Amérique du Sud, la Chine, des découvertes importantes ont été récemment effectuées ou sont en cours de réalisation, mais que tout le monde les ignore du fait qu’elles n’ont pas donné lieu à une médiatisation par l’édition et la presse scientifiques américaines. Il n’est pas rare que certaines recherches, totalement passées sous silence, ne soient reconnues que lorsqu’elles sont reprises par des équipes américaines (qui en général s’en attribuent alors la paternité). Des médailles ou des récompenses encore plus prestigieuses ont été accordées à des équipes américaines qui se sont fortement « inspirées » de travaux étrangers.
L’édition scientifique occupe aux États-Unis une position stratégique qui ne souffre aucune comparaison avec ses homologues européennes. Elle n’a pas pour fonction de rendre publics les résultats de la recherche pour le plaisir de l’esprit ou pour la gloire de la science. Elle assure une relation fonctionnelle entre la politique des grands centres de recherche et les intérêts de l’industrie. Aucun intellectualisme gratuit dans tout cela. Les sujets de recherche sont préalablement fixés par un consortium de sociétés savantes, d’universités et de compagnies privées qui s’entendent sur des objectifs à vocation économique. La publication sert essentiellement à déterminer la propriété des concepts, des technologies, des processus. C’est une sorte de bureau du copyright. Position qui explique les scandales attachés à sa pratique. […]
L’édition scientifique anglo-saxonne a inventé un procédé idéal pour s’exonérer des accusations de plagiat systématique qui caractérisent pourtant sa pratique. Le procédé consiste à noyer le poisson, c’est-à-dire à faire disparaître l’objet du délit sous une masse d’informations et de communications sans intérêt. Cette politique de surproduction rédactionnelle présente par ailleurs de nombreux avantages : l’éditeur tire des profits non négligeables de la participation financière réclamée aux auteurs et de la lucrative vente par abonnement aux universités. Peu importe, dans ces conditions, que 90 % des articles ne soient jamais lus. Une statistique récente a révélé que sur les cent mille articles médicaux publiés chaque année dans le monde, seuls deux cents à trois cents sont véritablement originaux et font avancer la recherche.

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