Hassan Ben Othman : « Il n’y en a que pour la littérature religieuse »

Publié le 22 mai 2005 Lecture : 4 minutes.

Figure importante de la littérature tunisienne de langue arabe, Hassan Ben Othman est bien placé pour parler du livre et de l’édition dans son pays. Chez cet auteur de romans à succès comme Promosport ou Cheikhan (éd. Sotepa Graphic), le propos est à l’image de l’écriture : rebelle et sans concession.

Jeune Afrique/L’intelligent : Le Tunisien lit-il ?
Hassan Ben Othman : De prime abord, oui. Il n’y a qu’à voir le nombre de journaux disponibles, les rayons des bibliothèques, la fréquentation de la Foire du livre. La question concerne moins la propension du Tunisien à lire que ce qu’il lit. Et la réponse est édifiante : la religion, l’au-delà et l’horoscope ! Je suis effrayé par ce penchant vers la littérature religieuse, qui me fait parfois penser que mes compatriotes ont tous l’aptitude de devenir un jour des intégristes.
J.A.I. : Pourquoi ne lit-on pas autre chose ?
H.B.O. : Pour trois raisons, essentiellement. D’abord, il n’y a pas de grands écrivains et l’on ne peut pas parler de lecteurs s’il n’y a pas d’auteurs. Ensuite, il n’y a pas de maisons d’édition qui tiennent. Sur les cinquante éditeurs ayant pignon sur rue, aucun ne fait réellement son métier. Car un éditeur est un partenaire et un aventurier de l’écriture. C’est un autre écrivain, pas un intermédiaire ou un samssar (courtier) que l’auteur est contraint de payer pour être publié. Nos éditeurs s’empressent de vendre quelques centaines d’exemplaires au ministère de tutelle et s’estiment sortis d’affaire.
Il faut aussi incriminer les médias, qui manquent tout autant de crédibilité et sont incapables de relayer les livres avec des comptes rendus de qualité. Nos critiques font dans la bonté là où on leur demande de la rigueur. Ils sont dans le règlement de comptes là où on attend d’eux de l’objectivité. Ajoutez à cela qu’aucune chaîne arabe n’a misé sur la culture. La création est en effet l’ennemi numéro un de ces médias audiovisuels parce qu’elle pose les questions qu’occultent les pouvoirs et que nos sociétés évitent d’affronter. Résultat des courses : on consomme les prêches des vedettes religieuses des chaînes arabes et les amuse-peuple des « Star Academy » made in Liban.
J.A.I. : Ce phénomène n’est pas que tunisien, mais arabe…
H.B.O. : On nous appelle, nous les Arabo-Musulmans, oummat al kitab (« les gens du Livre »), mais notre malheur est de lire, justement, un seul livre, sans toujours le comprendre : le Coran. Nous n’avons pas saisi que les livres forment une chaîne, ont des liens de parenté comme les membres d’une famille et, par conséquent, s’expli-quent et s’éclairent les uns les autres. Il importe donc de faire connaissance avec le maximum d’entre eux. Le fait de nous obstiner à la lecture d’un seul livre signifie un aveuglement sur tout ce qui n’est pas religieux. Vous remarquez d’ailleurs que nous sommes la seule communauté au monde qui a entrepris d’assassiner son prix Nobel de littérature, Naguib Mahfouz.
J.A.I. : Qu’en est-il des lecteurs du roman en langue arabe ?
H.B.O. : Pour le malheur des romanciers de langue arabe, ceux qui sont prêts à les lire lisent dans une autre langue, le français. Les arabisants préfèrent les livres religieux. Nous sommes donc orphelins de lecteurs.
J.A.I. : Comment vit l’écrivain que vous êtes ?
H.B.O. : Je prends le bus et le métro comme tout le monde. J’ai parfois peur pour ma vie, en raison de ce que j’ose écrire dans mes romans. Mais allez faire comprendre aux nôtres qu’il faut assurer un smig de dignité pour les écrivains. Personnellement, lorsque je m’accorde le luxe de sortir une nuit, je passe les trois suivantes à vaciller : non pas pour retrouver l’équilibre de mon corps mais celui de mon budget du mois. Et, parfois, il m’arrive de racheter les livres que j’ai réussi à grand-peine à vendre moi-même, comme un boutiquier. C’est ainsi qu’un responsable culturel, par ailleurs respectable, m’a acheté une dizaine d’exemplaires de Cheikhan pour revenir le lendemain m’en réclamer le remboursement, prétextant l’indécence de mon écriture. Je suis à la solde de ce genre de lecteurs qui veulent des romans sans mémoire, sans corps, sans existence. Pour m’en sortir, je publiais naguère un article par semaine dans la presse locale. Mais nos journaux ne sont pas les Sayyidati du Golfe où le papier peut rapporter 300 dollars. Ici, c’est quarante dinars (30 euros) tout au plus.
J.A.I. : Cette précarité touche-t-elle la majorité des intellectuels tunisiens ?
H.B.O. : Je n’ai guère de respect pour beaucoup de ceux que vous appelez « les intellectuels tunisiens ». Ils ont tellement soif de reconnaissance qu’ils seraient prêts à faire n’importe quoi à n’importe quel prix. Je les soupçonne d’écrire ou de créer pour que leurs femmes les voient à la télévision ! Ou pour être achetés par le pouvoir. Ils n’ont pas compris que le pouvoir n’a pas besoin d’eux et qu’il peut faire sans eux. J’estime personnellement que ma mission est plus périlleuse que celle d’un politique. Mon rêve n’est pas de devenir ministre mais écrivain. Tout simplement. Et c’est déjà beaucoup.

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