Grande amie de Sékou Touré, la générale Hélène Bouvard n’est plus

Publié le 22 mai 2005 Lecture : 4 minutes.

La triste nouvelle ne touchera sans doute que ceux qui ont vécu les pages déjà anciennes de l’histoire de la Guinée, celle de l’époque de Sékou Touré : Hélène Bouvard est décédée le 7 mai. Elle était la veuve du général qui, dans les années 1950, commandait à Dakar les forces aériennes de l’AOF (Afrique-Occidentale française), et a accompagné son mari dans beaucoup de ses déplacements, notamment en Guinée, où elle a supervisé la construction et la décoration des villas d’hôte situées près de l’aéroport de Labé. C’est sans doute à ce moment qu’elle croise pour la première fois le chemin de Sékou Touré. Celui-ci, élu député en 1956, est très fréquemment l’hôte du couple Bouvard lorsqu’il se rend à Paris pour siéger à l’Assemblée nationale française. Hélène le familiarise avec les manières de la société parisienne, lui fait rencontrer beaucoup de monde, notamment dans les milieux culturels.
Après 1958, les rapports se distendent. Le concierge du domicile parisien des Bouvard, qui le voyait souvent passer, est très choqué lorsqu’il apprend que Sékou Touré a entraîné le peuple guinéen vers l’indépendance : « Comment, il paraissait être un jeune homme si bien ! » Ce n’est qu’après la normalisation de 1975 qu’Hélène Bouvard retrouve le chemin de la Guinée. Le conseiller culturel de l’ambassade, Pierre Cochet, rentre un jour de Paris et me dit : « J’ai rencontré une charmante dame, mais un peu étrange, une Française d’origine slave, veuve de général ; elle prétend très bien connaître Sékou Touré. » J’en parle à celui-ci, qui s’écrie aussitôt : « Hélène ! Que devient-elle ? Je l’invite à venir à Conakry dès que possible. »
Dès lors, Hélène Bouvard revient régulièrement en Guinée, où elle est l’hôte du président, de son épouse Mme Andrée, avec qui elle s’est liée d’une réelle amitié, et de sa famille. On l’appelle « Tantie », elle déjeune quotidiennement à la table présidentielle, passe du temps avec les proches et les dignitaires, voyage avec le président à travers le pays… Mes collègues diplomates, intrigués, s’interrogent, au début tout au moins : « Est-ce que la présence d’une générale signifie le démarrage d’une coopération militaire avec la France ? »
Mais Hélène Bouvard est tout simplement une amie désintéressée et dévouée. On sollicite ses conseils, on suit ses suggestions, elle fait vraiment partie de la famille.
Lorsque je quitte la Guinée fin 1979, je la vois à chacun de ses retours à Paris. Elle est entourée d’égards lorsque Sékou vient en visite officielle en France en septembre 1982, vingt-quatre années après son dernier voyage dans la capitale française. Et puis, c’est pour elle le choc du décès de Sékou Touré, en mars 1984. Elle s’active au cours des mois suivants pour entrer en contact avec les membres de sa famille et les dignitaires de l’ancien régime détenus au camp de Kindia (Mme Andrée et son fils Mohammed, Aminata la fille préférée, Ismaël le demi-frère…). Elle s’arrange pour leur faire parvenir du courrier. Elle demande à un avocat parisien de mes amis, Me Jean-Marie Degueldre, de se charger de leur défense au cas où il y aurait un procès. Il se rend au printemps 1985 à Conakry, où il est reçu par le président Lansana Conté, qui lui permet de visiter les détenus de Kindia.
Par la suite, Hélène Bouvard cherchera à poursuivre son action et à rester en contact avec ses anciens amis. Mais les survivants sont dispersés à travers le monde, Rabat, Dakar, les États-Unis… Et Hélène Bouvard se fait vieille.
On n’a jamais vraiment su son âge. Encore coquette et élégante, charmeuse et toujours séduisante, elle le cachait soigneusement, révélant seulement qu’elle était née le jour de la Fête nationale française. Elle disait qu’elle avait vu le jour en Russie, que son nom de jeune fille était Anikeeff. Elle avait émigré en France avec sa mère au moment de la révolution bolchevique de 1917. Son père, qui était resté en Union soviétique, y aurait occupé des fonctions importantes avant de disparaître dans les purges staliniennes.
Sérieusement malade depuis plusieurs mois, hospitalisée depuis quelques semaines, elle est finalement décédée au début du mois de mai, âgée certainement d’environ 90 ans.
Avait-elle le sens des symboles ? Née un 14 juillet, date que Sékou Touré avait choisie en 1975 pour la normalisation avec Paris et pour la libération des détenus français, Hélène Bouvard s’est fait incinérer au cimetière parisien du Père-Lachaise le 14 mai, date anniversaire de la fondation en 1947 du Parti démocratique de Guinée (PDG), et l’une des fêtes importantes de la Ire République.
Sékou Touré aurait apprécié ce dernier geste de son amie !

*Ancien ambassadeur de France en Guinée (1975-1979).

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires