« C’est tellement XXe siècle ! »

Publié le 22 mai 2005 Lecture : 3 minutes.

Le Festival de Cannes a rassemblé cette année une pléiade de réalisateurs de tout premier plan venus montrer leur dernier long-métrage, de Woody Allen à Hou Hsiao-sien en passant par Jim Jarmusch et Lars von Trier. Sans surprise, le niveau général des films présentés sur la Croisette a donc été de très bonne qualité. Mais le cru 2005 n’a pas été aussi exceptionnel qu’on aurait pu l’imaginer.

Les auteurs les plus attendus, en effet, ont parfois dérouté et, à l’occasion, déçu leurs admirateurs en présentant des films qui, bien que de bonne facture, n’ajoutaient rien à leur oeuvre ou ne mettaient pas vraiment en valeur leur talent spécifique. Ainsi, les deux plus grands cinéastes canadiens, Atom Egoyan et David Cronenberg, connus pour réaliser des films étranges et sulfureux – qui ne se souvient d’Exotica du premier et de Crash du second ? – ont proposé, avec Where the Truth Lies et A History of Violence, deux sortes de polars réussis, mais assez classiques… qu’auraient sans doute pu tourner d’autres cinéastes dotés d’un style moins affirmé. Idem, jusqu’à un certain point, pour Woody Allen, qui a abandonné, avec Match Point, le genre « intello » comique ou dramatique pour dresser, sur fond d’intrigue policière là encore, un portrait de la gentry britannique qu’on aurait plutôt supposé conçu pour un auteur plus familier de cet univers.
Certains, sans changer véritablement de style, ont également évolué – pour l’instant en tout cas – vers un traitement moins original des sujets qu’ils abordent. Wim Wenders a, semble-t-il, retrouvé un certain punch, mais pour réaliser, avec Don’t come knocking, racontant les aventures d’un acteur star de western en plein désarroi, une sorte de pastiche des débuts de sa période américaine. Quant à Wang Xiaoshuai, jeune cinéaste qui s’était révélé à la fin des années 1990 – déjà à Cannes – avec une petite chronique très séduisante sur la Chine contemporaine intitulée So Close to Paradise puis avait confirmé son remarquable sens de l’observation avec Beijing Bicycle, sa sortie de la « clandestinité » l’a immédiatement conduit à épouser une manière fort académique de parler de l’histoire de son pays avec Shanghai Dreams, qui évoque, de façon malgré tout intéressante, le drame qu’a constitué autrefois l’envoi forcé de familles entières des grandes villes à la campagne sur l’ordre du parti.
Du coup, on aura surtout apprécié les films des cinéastes qui ont tout simplement continué à tracer le même sillon tout en confirmant l’étendue de leur talent. On peut citer à cet égard quatre oeuvres qui ont fortement impressionné la plupart des festivaliers. Manderlay, suite de Dogville, permet au Danois Lars von Trier de poursuivre de façon magistrale – même si on peut émettre des réserves sur son « message », centré ici sur une réflexion quelque peu provocatrice sur l’esclavage – une auscultation très théâtrale de l’histoire de la société américaine. Caché, de l’Autrichien Michael Haneke, évoque, pour sa part, aussi bien le thème de la culpabilité (celle du héros du film obligé de se rappeler un acte de trahison envers un petit Algérien dans son enfance) que celui de la « parano » (face à la société de surveillance dans laquelle on vit en Occident) à travers une histoire racontée de façon très peu conventionnelle et un brin perverse. Avec Free Zone, ensuite, l’Israélien Amos Gitaï, très bien servi par l’excellente interprétation de Hiam Abbass, continue, à travers un road movie qui conduit trois femmes (une Juive, une Palestinienne, une Américaine) à se rendre de Jérusalem en Jordanie, à militer sans jamais être pesant pour une paix qu’imposeraient les individus. Enfin, comment ne pas mentionner le nouveau film des deux frères belges Jean-Pierre et Luc Dardenne, L’Enfant ? Dans la même veine « sociale » que Le Fils ou Rosetta, ce film s’intéresse au sort d’un marginal, ici un petit voyou qui n’arrive pas à sortir de son enfance tout en affrontant des problèmes d’adulte.

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Même s’il faut se garder de toute généralisation outrancière, ce petit aperçu de Cannes 2005 fait apparaître que ce qui a surtout fait défaut cette année, c’est l’inattendu véritable, la nouveauté radicale. On n’a guère eu l’occasion de goûter ces surprises cinématographiques qui justifient à elles seules toute l’importance de la manifestation. Cette année, devant la plupart des films, on aurait pu dire, en exagérant à peine, pour reprendre une jolie expression de Lolita, l’un des jeunes personnages secondaires de la sympathique comédie de Jim Jarmusch Broken Flowers, « c’est tellement XXe siècle ! »

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