Touche pas à mes chaussures !
C’est une affaire complètement absurde qui agite les milieux de l’émigration marocaine aux Pays-Bas, et qui fait penser à la fameuse morale de La Fontaine, dans Le Meunier, son fils et l’âne : « Est bien fou du cerveau / qui prétend contenter tout le monde et son père. »
Tout commence lorsque le footballeur – eh oui, il s’agit encore de football – Khalid Boulahrouz est sélectionné dans l’équipe des Pays-Bas. Immédiatement des râleurs professionnels se dressent, drapés dans leur patriotisme de pacotille, pour lui en faire reproche. Ne devrait-il pas plutôt défendre les couleurs des Lions de l’Atlas ? On leur fait remarquer que le symbole de l’équipe des Pays-Bas est un lion, lui aussi, un petit lion orange qui a l’air d’un mignon mutant.
– Non, rugissent-ils [les patriotes], un lion n’est pas l’autre, c’est l’Atlas ou rien !
Plus sérieusement, Khalid Boulahrouz leur fait remarquer qu’il n’a jamais été convoqué par l’entraîneur de l’équipe du Maroc.
– Entre jouer pour la reine Beatrix et ne pas jouer du tout, qu’auriez-vous fait ?
Cet argument semble porter et les patriotes se taisent, l’il sombre. Mais voilà que d’autres « emmielleurs » professionnels s’avancent, farouches. Ceux-là sont des intellectuels et ils ont donc une théorie.
– Boulahrouz, tu n’es qu’un alibi (sic) ! L’entraîneur Van Basten a saqué tous les Noirs de son équipe et il avait besoin de toi pour se protéger des accusations de racisme. Encore une fois, un Marocain est utilisé comme Oncle Tom pour couvrir des pratiques peu reluisantes. Nous sommes instrumentalisés !
Khalid, qui commence à s’énerver, rétorque que si jouer dans l’une des meilleures équipes du monde, c’est de l’instrumentalisation, alors vive l’instrumentalisation ! Zidane jouait pour la France et personne ne lui cherchait des poux sur le crâne. Cependant, ébranlé par toutes ces polémiques, Boulahrouz décide de faire un geste pour montrer qu’il n’a pas perdu le contact avec la terre de ses ancêtres. Il demande donc à son fournisseur de lui fabriquer des chaussures à crampons sur lesquelles son nom serait gravé en lettres arabes. Voilà du symbole ou on ne s’y connaît pas ! Le talentueux footballeur pense avoir mis un point final à la polémique.
C’était sans compter sur les muftis autoproclamés qui infestent Amsterdam. Ces zigotos sont engagés dans une surenchère du type plus pieux que moi, tu meurs ! Ayant eu vent du projet de Boulahrouz, les voilà qui se dressent comme un seul Bédouin des polders. Comment, quoi, qu’est-ce ? Imprimer les lettres qui ont servi à Dieu pour dicter le Coran sur des chaussures de foot ? Mais c’est un scandale, c’est un blasphème, une profanation ! Pis : qui nous dit que le ballon n’est pas fabriqué en peau de porc ? Ou de sanglier ? Va-t-on mettre en contact ces animaux impurs, même réduits à l’état de ballon de foot, avec la Parole de Dieu ? Inconcevable ! Et nos barbus d’agiter des menaces de fatwa contre l’arrière central.
Aux dernières nouvelles, Boulahrouz, dont le surnom sur les terrains est « le cannibale » et qui aurait donc pu dévorer tout cru tous ces fâcheux, a sagement décidé de ne plus se préoccuper de ce que racontent ses compatriotes. « Est bien fou du cerveau / qui prétend contenter tout le monde et son père »
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