Qui veut encore des livres français ?
Il est bien loin le temps des Gide, des Camus, des Céline. Preuve que les écrivains français, soupçonnés d’avoir renoncé à l’exploration de la condition humaine au profit de celle de leur nombril, n’intéressent plus personne, les librairies de l’Hexagone sont envahies par les livres étrangers, anglo-saxons en premier lieu. Que n’entend-on pas sur le déclin de la littérature française ! Pourtant, certaines données incitent à nuancer le diagnostic. En 2004, les éditeurs français ont signé plus de 6 000 contrats de cession de droits. L’Italie, l’Allemagne, l’Espagne, la Russie, mais aussi le Japon et la Corée traduisent de plus en plus de livres français. En octobre 2006, à la célèbre Foire de Francfort, rendez-vous annuel de l’édition mondiale, la littérature française était en vedette, dopée, certes, par Les Bienveillantes (Gallimard), le premier roman de Jonathan Littell, qui allait obtenir quelques semaines plus tard le Goncourt. Mais on s’est arraché aussi Chaleur du sang, un nouveau texte posthume d’Irène Némirovsky, l’auteur de Suite française (Denoël), Goncourt 2004, ainsi que bien d’autres titres.
Les Français traduisent eux-mêmes beaucoup de romans. Ils sont d’ailleurs les plus grands lecteurs de littérature étrangère au monde. Mais la France vend quatre fois plus de livres qu’elle n’en achète. Bernard Werber, Marc Levy, Anna Gavalda, Éric-Emmanuel Schmitt, Amélie Nothomb ou encore Michel Houellebecq sont des stars qui en Allemagne, qui en Corée, qui au Brésil.
Ces auteurs, qui sont aussi ceux qui marchent le mieux en France, ne sont certes pas les plus cotés par la critique parisienne. Car les « vrais écrivains » que celle-ci porte aux nues s’exportent mal. L’autofiction, grande spécialité française, ne passionne guère le public étranger, qui veut qu’on lui raconte une histoire.
Il est une zone linguistique qui échappe à l’engouement (tout relatif) pour les auteurs écrivant dans la langue de Molière : celle des pays anglo-saxons. En 2004, 90 romans français ont été traduits en anglais (contre près de 160 en italien), dont une quarantaine achetée par des éditeurs américains. Une misère !
Comme le rappelait récemment le Magazine littéraire, il faut remonter aux années 1950 et à des auteurs comme Marguerite Yourcenar et Françoise Sagan pour trouver des romans français sur la liste des best-sellers du New York Times. Et pourtant, la France reste, devant l’Espagne, le premier fournisseur de littérature étrangère aux États-Unis. Dans ce pays, ce ne sont pas les romanciers, mais les lecteurs qui contemplent leur nombril En 2004, sur près de 200 000 livres publiés, moins de 3 % étaient des traductions
Les professionnels notent un début de retournement de tendance. Des romanciers comme Laurent Gaudé, Goncourt 2004 pour Le Soleil des Scorta (Actes Sud), Camille Laurens ou Emmanuel Carrère commencent à percer outre-Atlantique. Surtout, on note un intérêt croissant pour les auteurs « francophones », porteurs d’autres imaginaires et dont les uvres abordent de front les grandes questions politiques et sociales contemporaines. Ainsi s’explique le succès d’un Yasmina Khadra, dont Les Hirondelles de Kaboul (Julliard) s’est vendu à plus de 65 000 exemplaires. Grâce à ses écrivains venus d’ailleurs, la littérature de langue française retrouve un peu de son rayonnement d’antan.
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