Tous au chevet d’Abidjan
« Il faut sauver le soldat Konan Banny », dixit un délégué de la communauté internationale à Abidjan. La formule résume assez bien l’opinion de nombreux chefs d’État depuis le début de la crise. Le nouveau Premier ministre ivoirien a été choisi par le Nigérian Olusegun Obasanjo, le Français Jacques Chirac et le président de la Commission de l’Union africaine (UA), Alpha Oumar Konaré. Un mois et demi après son entrée en fonctions, il n’est pas question de le lâcher.
Le 15 janvier, le Groupe de travail international (GTI) se réunit à l’hôtel du Golfe, à Abidjan. Objectif : examiner la « feuille de route » du gouvernement formé deux semaines plus tôt. En clair, retirer les obstacles sur la route de Charles Konan Banny. Comme les autres membres, les deux coprésidents du GTI, le ministre nigérian des Affaires étrangères Oluyemi Adeniji, et le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en Côte d’Ivoire, le Suédois Pierre Schori, ont un souci en tête : éviter qu’un corps constitué comme l’Assemblée nationale continue de s’opposer au processus de transition.
Devant les quinze membres du GTI, le Premier ministre prononce une déclaration liminaire. Il s’interroge sur le rôle de la Commission électorale indépendante et réclame des listes électorales fiables. Surtout, il demande au GTI de statuer sur le sort de l’Assemblée nationale. Il rappelle que le mandat des députés a expiré le 16 décembre dernier et suggère que les anciens élus soient envoyés en mission à l’intérieur du pays pour faciliter la réconciliation. Autour de la table, personne ne s’oppose à cette idée. Pas même la ministre sud-africaine des Affaires étrangères, Nlosazano Dlamini-Zuma. Tout juste demande-t-elle que le caractère « individuel » ou non de ces missions ne soit pas mentionné dans le communiqué final. « Ce jour-là, les Sud-Africains ont bien été obligés de suivre pour ne pas passer pour des pyromanes », confie un témoin de la réunion. La proposition de Konan Banny est validée. Le GTI « tire la conclusion que le mandat de l’Assemblée n’a pas à être prolongé ».
Dès le lendemain matin, les partisans de Laurent Gbagbo descendent dans la rue. Mais c’est le 17 janvier que tout bascule. Ce jour-là, les « Patriotes » tentent d’envahir le siège de l’Onuci à Abidjan. Au même moment, d’autres empêchent son patron, Pierre Schori, de ressortir de la résidence de Charles Konan Banny, à Cocody. Il faut l’intervention du secrétaire général adjoint des Nations unies, le Français Jean-Marie Guéhenno, auprès du chef d’état-major de l’armée ivoirienne, Philippe Mangou, pour « libérer » Schori.
Le secrétaire général, Kofi Annan, est ulcéré. Depuis New York, il se tient informé en permanence de la situation des personnels civils et militaires de l’ONU, à Abidjan et en province. En début de soirée, il publie un communiqué d’une rare fermeté. Il condamne les « violences orchestrées » et exige qu’elles cessent « immédiatement ». Et il fait savoir qu’il ne cédera pas sur la question de l’Assemblée ivoirienne. « On ne négociera pas », affirme son adjoint Jean-Marie Guéhenno. « Après toutes les attaques que nous avons subies, il n’est pas question de reculer », lâche un membre de l’Onuci.
Kofi Annan cherche alors une solution politique. Coup de téléphone à Olusegun Obasanjo. Les deux hommes s’entendent bien. Sur la Côte d’Ivoire, ils sont sur la même longueur d’ondes. Le chef de l’État nigérian est incontournable en Afrique de l’Ouest. Qui plus est, il préside l’UA. Il est donc la meilleure autorité morale pour aller voir Laurent Gbagbo à Abidjan. Sa mission ? « Siffler la fin de la récréation », dit un délégué de l’ONU.
Côté français, la consigne est claire. Il faut rester en deuxième rideau. « On est une nation pilote au Conseil de sécurité, mais désormais, on laisse la tambouille de la transition aux autres », dit un responsable à Paris. Jacques Chirac suit la situation de près. Il envisage un moment de téléphoner à Obasanjo avant le départ de celui-ci pour Abidjan. Mais il est certain que son homologue nigérian partage la même fermeté que lui. Finalement, il confie au directeur Afrique du Quai d’Orsay le soin d’appeler un proche du chef de l’État nigérian. « On a confiance en lui, et puis on apprécie son côté bulldozer », dit un décideur français avec un petit sourire.
Le 18 janvier, avant de quitter Abuja, le « bulldozer » fait savoir à plusieurs de ses interlocuteurs qu’il tiendra à Laurent Gbagbo un langage de vérité. En substance : « Attention de ne pas connaître le même sort que Charles Taylor au Liberia ! » Obasanjo avertit également qu’il souhaite rencontrer en même temps le président et le Premier ministre ivoiriens. Une façon de les mettre au même niveau. Et de dire que, désormais, l’exécutif de la Côte d’Ivoire est bicéphale. La suite est connue. Le communiqué de fin de rencontre précise que « le GTI n’a pas de pouvoir pour dissoudre l’Assemblée nationale ». Gbagbo sauve la face. Mais le même texte prend note de « la fin du mandat de l’Assemblée nationale le 16 décembre dernier ». À charge pour les deux têtes de l’État ivoirien de trouver une solution politique
La communauté internationale a-t-elle cédé ? Beaucoup de « Patriotes » le croient. À leurs yeux, le communiqué du 18 janvier est un désaveu pour le GTI. Mais le lendemain, le Conseil de sécurité de l’ONU fait une déclaration qui donne à penser le contraire. Il « condamne fermement » les violences commises « par des milices urbaines et d’autres groupes associés aux Jeunes Patriotes, ainsi que leurs instigateurs ». Il prévient que « des mesures ciblées seront imposées » contre toute personne « s’opposant au processus de paix ». Surtout, il exprime son soutien au GTI et « approuve son communiqué du 15 janvier », c’est-à-dire le fameux texte dans lequel le GTI « tire la conclusion que le mandat de l’Assemblée nationale n’a pas à être prolongé ». La partie est donc loin d’être terminée.
« En laissant attaquer le siège de l’Onuci, Laurent Gbagbo s’est mis à la faute », estime un membre du GTI. « L’Afrique du Sud est en train de le lâcher et, au Conseil de sécurité, la Chine ne va peut-être plus bloquer les projets de résolution à caractère coercitif. » Après ce bras de fer, Charles Konan Banny est plus que jamais l’homme de confiance de nombreux chefs d’État. « Pour lui, c’est une bosse un peu difficile à passer, mais il y arrivera », veut croire un conseiller occidental. Entre Gbagbo et Konan Banny, la communauté internationale a choisi son coureur de fond sur le chemin de la réconciliation nationale.
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