« L’avenir de l’homme »

Publié le 22 janvier 2006 Lecture : 5 minutes.

L’Histoire a gravé dans le marbre les noms de quelques grandes reines qui ont exercé le pouvoir politique avec éclat, lui ont imprimé leur marque. Ces noms ont traversé les siècles pour parvenir jusqu’à nous, mais ils sont peu nombreux.
Ce sont tout naturellement les Européennes que les livres d’histoire privilégient : Isabelle la Catholique pour l’Espagne, Élisabeth et Victoria pour le Royaume-Uni, Christine pour la Suède, Catherine pour la Russie. Et ils nous apprennent, ces livres, que l’Afrique et l’Asie ont eu, elles aussi, des reines qui ont laissé un nom, une traceMais qu’elles aient été européennes, africaines ou asiatiques, ces souveraines, dont certaines, nous dit-on, furent très féminines et très belles, ne sont parvenues au pouvoir, et ne l’ont exercé au sommet, que par la conjonction inespérée de facteurs favorables.
Elles ont été, en somme, des exceptions à une norme de l’Histoire humaine telle qu’elle s’est déroulée depuis dix millénaires. Selon cette norme, le pouvoir politique, économique et militaire est détenu par le plus fort physiquement : l’homme.
Dominée, assujettie, reléguée au rang de « sexe faible » (ou de « deuxième sexe »), la femme a été tenue à l’écart du pouvoir et de ce qui en facilite l’accès : l’éducation.
Sur les cinq continents, et tout au long des dix millénaires de notre histoire, cette domination a régi les relations hommes-femmes : un ensemble d’habitudes et de traditions, de règlements et de lois s’est tissé peu à peu pour devenir un système de vie, la nature des choses.

Et lorsque, dans la seconde moitié du XXe siècle, il y a trente ou quarante ans, une douzaine de femmes, dans une douzaine de pays, ont réussi à franchir l’obstacle, sont parvenues au sommet du pouvoir politique et ont exercé ce pouvoir avec force et succès, ce fut l’étonnement. Et la recherche d’une explication.
On en a trouvé deux qui valent ce qu’elles valent :
– La captation d’héritage : un nom illustre, l’héritage (politique) d’un père ou d’un mari ont ouvert les portes du pouvoir à plusieurs femmes, surtout en Amérique latine et en Asie. Les cas les plus connus sont ceux d’Isabel Perón en Argentine (1974), de Sirim avo Bandaranaike au Sri Lanka (elle l’a exercé plusieurs fois entre 1960 et 2000), de Corazón Aquino (héritière de son mari assassiné et présidente des Philippines de 1986 à 1992), de Megawati Sukarnoputri (fille du père de l’indépendance indonésienne, elle a bénéficié de cette filiation pour devenir présidente en 2001, bien après la destitution et la mort de son père).
– La force de caractère : les « dames de fer », comme on les a appelées, ne sont parvenues au pouvoir et ne l’ont exercé que parce qu’elles étaient en fait, sous une apparence féminine, particulièrement « viriles ». Et, de fait, elles se sont montrées dures à la tâche, impitoyables : Golda Meir (Israël, 1969-1974) et Margaret Thatcher (Royaume-Uni, 1979-1990) sont les plus souvent citées pour illustrer ce cas.
Quant à Indira Gandhi (Inde, 1966-1977, puis 1980-1984) et Benazir Bhutto (Pakistan, 1988-1990 ; 1993-1996), elles procèdent des deux : héritage du père et force de caractère.
Telle était la situation jusqu’à la fin du XXe siècle. Elle vient de se modifier d’une manière si spectaculaire que cela mérite qu’on s’y arrête.

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Ce qui se passe simultanément, en ce moment même, sur tous les continents me donne l’impression d’une cage dont on aurait ouvert grandes les portes, d’un barrage qui vient de céder :
– En politique, du Chili à la Finlande, en passant par le Liberia, on voit des femmes, parfois seules et divorcées, battre leurs concurrents hommes et accéder au pouvoir suprême avec une superbe aisance.
Elles ajoutent leur nom – et leur poids – aux présidentes déjà en exercice en Irlande, en Lettonie, aux Philippines et annoncent, semble-t-il, les succès possibles, ou peut-être même probables, d’une Ségolène Royal en France, d’une Ioulia Timochenko en Ukraine et de quelques autres dont la candidature au pouvoir suprême n’est pour le moment que virtuelle : Hillary Clinton et Condoleezza Rice pour les États-Unis, Aung San Suu Kyi pour Myanmar.
Outre la présidente du Liberia, l’Afrique compte deux femmes Premier ministre : Maria do Carno Silveira (à São Tomé e Príncipe, depuis le 8 juin 2005) et Luisa Dias Diogo (au Mozambique, depuis le 17 février 2004).
– En économie, même si elles n’ont pas atteint la parité, les femmes sont déjà au sommet dans des centaines de grandes entreprises. Sur tous les continents, chaque année qui passe, ou même chaque mois, voit leur situation s’améliorer : elles gagnent des places, consolident celles qu’elles viennent d’occuper et, si l’on établit la liste des mille personnes les plus puissantes et les plus influentes au monde, les femmes ne sont plus très loin d’en constituer la moitié.
– Dans les sciences et dans le domaine de la culture, on découvre le même phénomène : les femmes occupent petit à petit la place que leur donne l’éducation qu’elles ont reçue ; or, dans les écoles et les universités, elles étaient un peu partout, dès la fin du siècle dernier, aussi nombreuses que les hommes : c’est donc par l’éducation qu’elles se sont libérées de l’oppression masculine.
Quoi qu’il en soit, dans les sciences et la culture, lorsqu’elles n’ont pas encore atteint la parité avec les hommes, les femmes n’en sont pas loin, et il arrive même de plus en plus qu’elle fassent mieux que les hommes.

Lorsque les femmes qui sont, faut-il le rappeler, la moitié de l’humanité, auront gagné et occupé la place qui leur a jusqu’ici été déniée, une injustice dix fois millénaire aura été réparée et, ainsi, aura été accomplie la plus grande des révolutions, celle de l’égalité de chances et de droits entre les deux moitiés de l’humanité.

Tout laisse à penser que cette révolution sera faite et achevée au cours de ce XXIe siècle.
En parallèle avec une autre de même envergure et qui fait, elle aussi, couler beaucoup d’encre : l’accession au développement économique, technique et culturel de l’ensemble Inde-Chine, qui rassemble près de 3 milliards d’hommes et de femmes.
Il s’agit donc là d’une autre moitié de l’humanité, ou peu s’en faut.
Si elle gagne et occupe elle aussi, par l’éducation et le travail, la place qui lui revient et si, dans les prochaines décennies, cette deuxième révolution vient s’ajouter à la première, le XXIe siècle aura été celui de la libération de l’homme et de la femme.

Ils auront gravi une marche et atteint le stade suprême de leur évolution : égalité de droits, égalité des chances entre les sexes comme entre tous les hommes, sur l’ensemble de la planète, quelles que soient leur origine et leur couleur.
Lorsque l’humanité tout entière aura enfin adopté ces principes simples, en aura fait un idéal qu’elle s’efforcera de pratiquer, elle sera parvenue à la vraie civilisation.
L’esclavagisme, le racisme et l’intégrisme, que nous portons en nous et qui ont, de ce fait, dominé notre Histoire, auront enfin été vaincus.

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