La loi du mil

Bien que les pluies aient été plus abondantes cette année, le spectre de la crise alimentaire persiste dans certaines zones du pays.

Publié le 22 janvier 2006 Lecture : 5 minutes.

Caché sous son chèche, Ismaël a de bonnes raisons d’être inquiet. Venu à Filengué, au nord-est de Niamey, avec son troupeau à l’occasion de la tabaski (Aïd el-Kébir), cet éleveur touareg retourne dans son village en n’ayant vendu que sept moutons. « C’est insuffisant pour nourrir ma famille. À cause de la sécheresse l’année dernière, j’ai déjà perdu plusieurs bêtes, et j’ai dû emprunter de l’argent pour acheter des vivres et des semences. Cette année, je dois rembourser, mais mes récoltes ont été insuffisantes. À partir du mois de mars, mon grenier sera vide », déplore ce père de six enfants. Assoumana, un enfant du pays qui réside à présent dans la capitale nigérienne, confirme cet état de fait. « Les pluies ont été tardives et insuffisantes. Ensuite, nous avons subi le passage d’oiseaux migrateurs qui ont, en partie, ravagé les plantations », résume-t-il. Dans certains marchés de la région, le sac de mil de 100 kg est déjà à 16 000 F CFA.
Au niveau national, la tendance générale des prix des céréales est aussi à la hausse, constate l’ONG Afrique verte. Et ce en dépit d’un approvisionnement régulier des marchés favorisé par les importations en provenance du Nigeria (mil et sorgho) et du Bénin (maïs), notamment. Au même moment, au Mali, les prix poursuivent leur baisse tandis qu’ils se stabilisent au Burkina. Au Niger, la crise alimentaire de 2005 a durablement fragilisé les populations, désorganisé les filières agricoles et perturbé la campagne 2005-2006 dans un pays frappé par la pauvreté. Certes, les 66 000 tonnes de denrées distribuées depuis le mois de juillet à près de 3,5 millions de personnes ont permis d’éviter la catastrophe humanitaire, mais la situation reste très précaire. Bon nombre de paysans démunis et endettés ont été dans l’incapacité de se procurer suffisamment de semences pour assurer de bonnes récoltes.
Selon les statistiques officielles, l’excédent céréalier est de 21 000 tonnes. Reste que de grosses disparités géographiques se cachent derrière ce résultat global. Autour de Maradi, par exemple, la production de haricots a été satisfaisante, mais il s’agit d’une culture de rente destinée à la vente et non à la consommation locale. Dans le même temps, les rendements de mil n’ont pas été à la hauteur des espérances tandis que les commerçants nigérians ont la fâcheuse habitude de venir « racler les greniers ». Au total, sur l’ensemble du Niger, près de 2 000 villages sont ainsi considérés comme vulnérables, soit 1,8 million d’habitants éparpillés sur l’ensemble du pays. La bande agropastorale entre Tillaberi, Tahoua, Maradi et Zinder demeure la zone la plus préoccupante. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), qui a réalisé une enquête nutritionnelle en septembre 2005, 13 % des ménages installés en milieu rural sont confrontés à une insécurité alimentaire sévère et ne disposent que de trois mois de réserves vivrières. De son côté, l’Organisation des Nations unies pour l’enfance (Unicef) estime que 15 % des enfants de moins de 5 ans souffrent de malnutrition aiguë.
« L’ensemble de ces études prouve bien que l’excédent céréalier ne reflète pas la réalité vécue par les populations », s’insurge Moustapha Kadi, l’un des leaders de la société civile et membre du Comité national de gestion et de supervision de la crise alimentaire placé sous l’autorité du Premier ministre, Hama Amadou. Puis il ajoute : « Le pouvoir refuse d’admettre la gravité de la situation. Ce déni constitue un point de blocage. » Un avis partagé par plusieurs responsables humanitaires qui avouent, sous couvert d’anonymat, « marcher sur des ufs ». Les mêmes déplorent « des relations difficiles avec les autorités » et regrettent « les lenteurs qui en découlent ». L’un d’entre eux avoue d’ailleurs : « Nous sommes déjà en retard. »
« La situation ne risque pas d’être catastrophique », répond Hama Amadou. Revenant sur le principal point de désaccord avec les ONG, il explique : « Nous sommes contre les distributions massives et gratuites de céréales, sauf en cas de situation exceptionnelle, car elles déresponsabilisent les villageois. » Et le chef du gouvernement de conclure : « Un État souverain ne peut être placé sous tutelle par les organisations internationales. »
Les pouvoirs publics assurent en revanche vouloir poursuivre les ventes à prix modéré pour contrer la spéculation. « Cela relève de l’aveuglement, dénonce un humanitaire. Même à 10 000 F CFA le sac, c’est encore trop cher pour un paysan sans revenu qui vit en autarcie. Quand il n’y a pas de marché, cela ne sert à rien de vouloir le stabiliser. »
Les autorités affirment par ailleurs être sur le point de reconstituer le stock national de sécurité (SNS) avec 40 000 tonnes promises par différents partenaires (PAM, États-Unis, Japon, notamment) et 70 000 tonnes achetées à l’étranger. Le gouvernement mise aussi sur les importations effectuées par les commerçants, estimées, elles, à 193 000 tonnes (riz, blé, maïs).
Mais, au-delà du dispositif qui sera mis en uvre, le Niger se trouve avant tout dans l’obligation de restructurer en profondeur son secteur agricole. Qui représente 40 % du Produit intérieur brut (PIB) et emploie 90 % de la population active du pays. Une situation qui n’est pas près de se résorber puisque la croissance démographique atteint 3,3 % par an pour une progression de la production agricole de 2 % seulement.
Pour tenter d’y remédier, le pays s’est lancé dans un programme de développement des cultures de contre-saison, afin de diversifier ses sources de revenus, de modifier les habitudes alimentaires et d’optimiser les surfaces cultivables. L’exemple des champs de pommes de terre d’Agadez est, de ce point de vue, prometteur.
Plus au sud, à Bonkoukou, Youssouf s’est lancé, lui aussi, dans l’aventure. Mais à 200 F CFA le kilo, la pomme de terre nourrit péniblement son homme. À Balleyara, une localité située à une centaine de kilomètres de Niamey, Maman, plus chanceux, arrose son champ de choux en contrebas de la route. « Tout va bien pour moi et j’écoule toute ma production », déclare celui-ci en se réjouissant des bénéfices engrangés. Une piste à suivre.
Le Niger possède aussi, selon certaines estimations difficiles à confirmer, le plus gros cheptel de la sous-région (bovins, ovins). Avec près de 27 milliards de F CFA rapportés en 2004, l’élevage constitue la deuxième filière nationale d’exportation derrière l’uranium. Et pourtant cette activité, caractérisée par le nomadisme et une insuffisance d’infrastructures, demeure largement sous-exploitée. Le bétail est exporté sur pied, ce qui est nettement moins rémunérateur que la vente de viande débitée. À Niamey, devant l’abattoir fermé pour cause de grève à la suite d’un conflit avec la direction, le président du Syndicat des bouchers, Dady Aoula, se désole en montrant la chambre frigorifique, d’une capacité de 200 têtes, à l’arrêt en raison d’une panne. « Les problèmes de conservation et de transport nous empêchent de répondre aux nombreuses demandes extérieures. Résultat, ce sont les autres qui en profitent. Au Nigeria, le prix du kilo de viande est quatre fois plus cher qu’ici. » Les autorités du pays ont promis la construction d’un nouvel abattoir.

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