Il faut juger Hissein Habré

Publié le 22 janvier 2006 Lecture : 3 minutes.

En 1988, alors que le Tchad connaissait un régime de parti unique, j’ai été arrêté par la police politique d’Hissein Habré et jeté en prison en même temps que des milliers d’autres Tchadiens ordinaires. J’ai survécu à ces deux années de bagne où je n’avais rien à manger, où j’étais roué de coups et malade de la dengue, mais des dizaines de mes compagnons d’incarcération sont morts dans mes bras. Je me suis juré que, si j’en sortais vivant, je me battrais pour que justice soit faite. Mon combat est désormais entre les mains de l’Union africaine.

Lorsque Habré a été renversé en 1990, je suis sorti de prison et j’ai commencé, avec d’autres survivants, à rassembler les preuves de ses exactions. Bien qu’une « commission vérité » ait estimé que le régime Habré était responsable de la mort de 40 000 Tchadiens, le nouveau gouvernement a laissé en place la plupart de nos bourreaux et n’a jamais demandé l’extradition d’Habré du Sénégal, où il s’était réfugié.
Mais en 2000, inspirés par l’arrestation à Londres de l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet, nous sommes allés au Sénégal, avec l’aide de Human Rights Watch, pour porter plainte contre Habré. Nous avons eu la bonne surprise qu’un jeune juge courageux écoute notre témoignage. Lorsqu’il a inculpé Habré pour crimes contre l’humanité, tout le Tchad s’est réjoui avec moi.
Malheureusement, la politique est alors entrée en scène. Le jeune juge a été dessaisi du dossier et les tribunaux sénégalais se sont déclarés incompétents pour juger de crimes commis au Tchad, même si la Convention des Nations unies contre la torture leur en faisait un devoir.
Nous avons tourné nos regards vers d’autres pays, mais seule la Belgique a accepté de donner suite à notre plainte dans le cadre de son ambitieuse loi de « compétence universelle », qui permet à ses tribunaux de se saisir d’accusations d’atrocités collectives, où qu’elles aient été commises. Le président sénégalais Abdoulaye Wade a promis aux Nations unies qu’il garderait Habré au Sénégal et a ajouté : « Si un pays capable d’organiser un procès équitable – faisant référence à la Belgique – le réclame, je n’y vois aucun obstacle. »
Nous avons travaillé quatre ans à constituer le dossier, avec désormais le soutien du gouvernement tchadien qui a invité le juge belge à N’Djamena, la capitale tchadienne, pour enquêter.
Lorsque le juge a débarqué avec son équipe d’enquêteurs, c’était comme si la justice elle-même était enfin arrivée au Tchad. Les victimes faisaient la queue devant le tribunal pour raconter leur histoire. J’ai amené le juge dans la prison où j’avais été enfermé. Son équipe a photocopié des milliers de dossiers de la police de Habré, mis au jour par Human Rights Watch, qui indiquent comment ce dernier a organisé la répression des opposants politiques et qui dressent la liste des 1 208 prisonniers morts en détention.
En septembre, après quatre ans passés à rassembler des preuves, le juge belge a inculpé Habré pour crimes contre l’humanité et a demandé au gouvernement sénégalais son extradition. Mais la politique a, une fois encore, interféré.
Les partisans de Habré – nombre d’entre eux achetés avec les millions qu’il a volés lorsqu’il a fui le Tchad -prétendent aujourd’hui qu’un chef d’État africain ne peut pas être jugé en Europe. Les tribunaux sénégalais ont une fois de plus refusé d’agir, et le président Wade a demandé à l’Union africaine de donner ses recommandations sur le lieu où Habré devrait être jugé.
Moi aussi, je préférerais voir Hissein Habré jugé en Afrique. Mais le Sénégal a refusé de le poursuivre lorsqu’il a eu la possibilité de le faire, le Tchad ne pouvait pas lui garantir un procès équitable, et aucun autre pays africain n’a demandé son extradition. Certains ont suggéré de créer un « tribunal africain », mais cela suppose une immense volonté politique, des années d’atermoiements et au moins 100 millions de dollars de frais.

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Les victimes de Habré ont attendu quinze ans pour trouver un tribunal capable de les écouter, et de nombreux survivants sont déjà morts.
La Belgique est prête à se saisir du dossier et en a la compétence. Ce pays a un passé colonial regrettable, mais il n’a rien à voir avec le Tchad et il dispose d’une justice indépendante prête à organiser – pour Habré et pour nous – un procès équitable. Après quinze ans, le Sénégal et l’Union africaine doivent nous permettre de nous retrouver un jour devant un tribunal.

* Souleymane Guengueng est fondateur et vice-président de l’Association tchadienne des victimes de crime et de répression politique.

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