Secret défense

Publié le 21 novembre 2004 Lecture : 3 minutes.

Paris, 12 février 1998. Les députés examinent le projet de réforme du secret défense promis par Lionel Jospin dans sa déclaration de politique générale, après une évocation pas seulement symbolique de l’affaire Dreyfus. Pour concilier les deux nécessités contradictoires de la protection des secrets d’État et de la transparence démocratique, le texte propose de créer une commission « chargée de donner un avis sur la déclassification ». Il s’agit en réalité de mettre fin à l’étouffement d’un certain nombre d’affaires au nom de la raison d’État. Et à la vive indignation d’une opinion qui manifestait aussitôt son écoeurement dans les sondages, tandis que les médias, accusés d’exhiber le linge sale de la République, poursuivaient de plus belle leurs révélations.
Comme l’expose le rapporteur Gérard Charasse (MRG) : « Le maniement du tampon rouge ne doit pas devenir une solution un peu commune pour écarter le regard trop perçant de la justice. » Et d’ajouter : « J’ai résisté à la tentation de faire ici la liste de ces affaires. » Une exclamation jaillit de l’Hémicycle : « Heureusement, nous y serions encore demain ! »
D’autres élus n’auront pas ces scrupules et citeront pêle-mêle les affaires des micros
du Canard enchaîné en 1974, du faux passeport délivré au sulfureux Yves Chalier dans le scandale du Carrefour du développement, des écoutes dites de l’Élysée enfin soumises aujourd’hui à la justice grâce à la loi nouvelle ; et, bien entendu, l’affaire Ben Barka, dont Michèle Alliot-Marie, la ministre de la Défense, vient de déclassifier les derniers dossiers secrets.
Dans l’ancien système, la sauvegarde du secret était assurée pour l’essentiel par une
commission de contrôle des interceptions de sécurité. Elle visait surtout à protéger
l’identité des agents des services secrets, mais couvrait aussi de nombreux dévoiements,
comme le reconnaît implicitement l’ancien ministre de la Défense Alain Richard, en soulignant que le secret « ne doit plus pouvoir être opposé pour des raisons partisanes ou des intérêts individuels ». Voire pour des abus de simple commodité, par exemple, quand le commandement en chef des forces françaises de la première guerre du Golfe réclame par deux fois à Paris une voiture de classe comparable aux limousines des hauts dignitaires américains. La demande était légitime. Pourquoi alors le « secret défense » ?
La nouvelle commission du secret porte en elle les contradictions de la réforme,
puisqu’elle est à la fois indépendante et consultative. C’est elle qui se prononce sur
la déclassification, partielle ou totale, et la communication d’informations jusqu’ici inaccessibles. Elle a deux mois pour donner son avis, qui est publié au Journal officiel. Voilà pour la transparence.
À l’opposé, sa « consultation » n’engage d’aucune manière le pouvoir, qui peut passer outre et maintenir le secret. Et ne s’en prive pas lorsque les intérêts en jeu sont élevés dans les ventes d’armes notamment et les tractations occultes. La raison d’État reprend alors, contre le Droit, tous ses droits.
Dans l’affaire Ben Barka, Alliot-Marie a suivi la commission et donné son accord à « la déclassification de 73 documents regroupés dans un scellé fermé, soit au total 295 feuillets imprimés recto verso (3 pièces) ou simple recto (292 pièces), auxquels s’ajoutent 2 enveloppes et 3 photographies ».
Qu’y avait-il dans ces pièces et ces enveloppes ? On va enfin le savoir, quitte à ne rien apprendre de nouveau. Alliot-Marie, elle, le sait. Au cours du délai de quinze jours à deux mois que la loi a voulu laisser aux ministres pour prendre leur décision, elle a eu
le temps de vérifier que plus rien dans les dossiers déclassifiés ne pouvait nuire aux intérêts français ni aux relations franco-marocaines.
Plusieurs parlementaires avaient exprimé la crainte que la « consultation » de la commission, en cas du refus du ministre, ne change rien à la situation d’avant et donc à ses risques d’arbitraire.
Le sénateur Luc Becart (PC) a cité l’exemple du drame rwandais en avril 1994: « Tant que la vérité sur l’étendue du soutien de la France à l’ancien régime de Kigali sera ignorée, l’image de notre pays, et par là même son autorité, seront diminuées aux yeux des populations africaines. »
Plus édifiante encore l’affaire Elf, où le secret défense, contre l’avis de la commission,
a été efficacement opposé à la justice chaque fois qu’elle a tenté d’identifier les bénéficiaires politiques des milliards puisés dans les caisses noires du groupe pétrolier. « Nous avons financé la politique tout au long de mon mandat, avait reconnu Loïk Le Floch-Prigent. Et je sais à peu près quelles sont les orientations qui ont été prises. »
Hélas ! ni la justice ni les Français ne sauront jamais quels dirigeants et quels partis
ont profité de ces largesses couvertes par l’Élysée.

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