Pourquoi la France doit rester

Publié le 21 novembre 2004 Lecture : 3 minutes.

La France dehors ! C’est le maître mot de milliers de « patriotes » depuis deux semaines à Abidjan. « Non à l’armée d’occupation », « non au colonialisme », chantent des vedettes de la scène abidjanaise lors de concerts de « résistance » au quartier résidentiel de Cocody. De fait, beaucoup d’Ivoiriens, et pas seulement dans le camp de Laurent Gbagbo,
se sentent humiliés depuis la destruction, le 6 novembre dernier, de l’aviation ivoirienne
par l’ancienne puissance coloniale. Beaucoup sont profondément choqués par la mort, trois jours plus tard, de jeunes compatriotes venus manifester contre la présence de soldats français à un kilomètre de la résidence du chef de l’État. Jamais, depuis l’indépendance de la Côte d’Ivoire en 1960, la présence française n’a été aussi contestée. Alors la France doit-elle partir ?
Un retrait des soldats français ne peut conduire « qu’à l’anarchie ou à un régime de nature fasciste », dit Jacques Chirac. Le mot « fasciste » n’est pas choisi au hasard. Il s’agit d’attaquer Laurent Gbagbo sur le terrain des valeurs et de justifier le maintien
des troupes. Comme d’habitude, la France met en avant le risque humanitaire pour préserver son influence politique dans ses anciennes colonies. Aux yeux du gaulliste Jacques Chirac, lâcher la Côte d’Ivoire, ce serait perdre toute crédibilité auprès des autres pays du continent et laisser le champ libre aux Américains que Laurent Gbagbo courtise d’ailleurs avec assiduité via son réseau de pasteurs pentecôtistes. Mais après tout, pourquoi les ambitions africaines de la France seraient-elles inavouables ? Pourquoi sa politique d’influence en Côte d’Ivoire serait-elle plus scandaleuse que celle des États-Unis au Liberia ou celle de la Grande-Bretagne en Sierra Leone ?
Pour les puissances occidentales, l’enjeu n’est plus de compter les partisans de chacun aux Nations unies. Au Liberia, en Sierra Leone et en Côte d’Ivoire, il s’agit désormais
d’empêcher un second Rwanda. « Si la France partait aujourd’hui, ce serait le chaos éternel. À mon avis, les troupes françaises devraient rester en Côte d’Ivoire jusqu’à
l’établissement d’un pouvoir politique à travers des élections dans lesquelles les
Ivoiriens choisiront leurs véritables représentants », dit Abdoulaye Wade. Le président
sénégalais n’est pas le seul Africain à penser cela. Beaucoup d’Ivoiriens, y compris dans la zone gouvernementale, trouvent que la ficelle de la lutte anticoloniale est un peu grosse et souhaitent que les Français restent. Parce que les Ivoiriens, dans leur majorité, ont peur. Peur des « patriotes », peur des voyous, peur de la rue. Le véritable enjeu est là. Après des années de propagande haineuse sur les ondes de la RTI (Radiotélévision ivoirienne), la Côte d’Ivoire est à la merci d’une explosion de violence et de massacres à caractère ethnique. Comme au Rwanda en 1994. Que dira-t-on si la France se retire en abandonnant les populations d’Abidjan ou de Gagnoa à des hordes de tueurs ?
Un jour, bien sûr, les Casques blancs de l’Union africaine ou les Casques bleus de l’ONU prendront tout seuls la relève. Mais l’échec de l’Ecomog les troupes de la Cedeao au Liberia ne plaide pas pour l’instant en faveur d’une force exclusivement africaine. Dix ans après, les habitants de Monrovia se souviennent encore des bombardements aveugles et meurtriers de l’armée nigériane sur leurs maisons. Quant à l’ONU, son échec politique et opérationnel au Rwanda en 1994 est dans toutes les mémoires. Alors, en attendant une force multinationale crédible et capable de s’interposer toute seule entre les tueurs, beaucoup d’Ivoiriens se disent qu’il vaut mieux la France que rien du tout. Ont-ils vraiment tort ?

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