La bouteille est à moitié vide

Publié le 21 septembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Sur fond de crise financière internationale aux conséquences difficiles à mesurer, et alors que les prix des matières premières jouent au yoyo, on se pose – et on nous pose – la question : Et le continent africain ? Est-il, lui, en train de profiter de la mondialisation ? Ou bien en est-il la victime ?
Ses nouveaux partenaires, la Chine, l’Inde, le Brésil, la Russie, contribuent-ils à le sortir de l’ornière, comme on nous le dit, ou bien sont-ils en train de le dépouiller et de l’appauvrir ?

Je vais tenter de répondre à la question en laissant de côté les spasmes politiques qu’on observe ici et là : la marche de Jacob Zuma vers le pouvoir suprême en Afrique du Sud pour l’exercer autrement et les turbulences qu’elle va susciter ; Robert Mugabe et son ennemi juré d’hier, Morgan Tsvangirai, condamnés à faire tandem pour diriger le premier gouvernement pluraliste du Zimbabwe sans trop savoir comment s’y prendre ; la Mauritanie, dont l’expérience démocratique aura eu la brièveté d’une nuit d’été et qui renoue avec ce pour quoi ses militaires paraissent le plus doués : les coups d’État ; la Côte d’Ivoire, dont la sortie de crise se fait attendre au point de susciter la crainte de la voir remise en question

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Pour savoir si le continent africain est, cette fois, bien parti, ou s’il continue à faire l’école buissonnière, il faut interroger les indicateurs socio-économiques. Voici ce qu’ils disent.
Nombre de pays africains importants ont commencé à tirer parti de la manne financière produite par la hausse mondiale du prix des matières premières. Mais les progrès accomplis concernent principalement des secteurs spécifiques, comme l’extraction des matières premières, et n’ont été réalisés que par les producteurs de pétrole et un petit nombre de pays comme le Botswana, Maurice, l’Ouganda, le Mozambique, la Tanzanie et le Ghana, au sud du Sahara, et les trois pays du Maghreb central, au nord du Sahara ; ils ne justifient pas un « pari » généralisé sur l’Afrique.
Les données macroéconomiques le disent : l’Afrique dans son ensemble décolle, mais lentement. Après des décennies de performances médiocres qui ont mis en péril la stabilité sociale et entretenu la pauvreté, la croissance économique du continent s’est établie, entre 1997 et 2002, à une moyenne annuelle de 4 % et de 6 % au cours des cinq années suivantes.
Pendant la même période, le taux d’inflation a été divisé par deux, passant de 15 % à 7,5 %, et les bilans financiers – des pays et des entreprises – ont commencé à avoir de l’allure.
Les réserves de change permettent désormais de couvrir six mois d’importation de biens et de services, contre quatre auparavant, et l’endettement des pays est globalement passé de 65 % du produit intérieur brut en 1997, voire davantage dans certains cas, à moins de 20 % (en moyenne).

Cette amélioration de la situation économique de la majorité des pays africains contraste avec le risque de récession qui menace nombre de pays très industrialisés. Il en est résulté que des investisseurs qui n’avaient jamais songé à l’Afrique pour placer leurs capitaux ont commencé à tâter le terrain : le continent s’est mis à attirer les IDE (investissements directs étrangers) à un niveau certes encore modeste (de l’ordre de 30 milliards de dollars par an), mais en croissance rapide depuis 2006.
Les agences de notation elles-mêmes se sont mises à recommander aux investisseurs de regarder vers l’Afrique.
Le continent tire sa richesse (et l’intérêt que les grands pays industriels lui portent) des produits de son sol et de son sous-sol qui sont de plus en plus demandés et de plus en plus chers. L’Afrique est donc portée par une conjoncture favorable dont profite une bonne moitié de ses pays.
Les finances publiques s’en ressentent et, pour la première fois depuis bien longtemps, les pays les mieux gouvernés ont pu consacrer de l’argent à la réhabilitation de leurs infrastructures, à l’amélioration de la santé, de l’éducation et de l’habitat.

Peut-on en conclure que le continent dans son ensemble est cette fois bien parti, qu’il a pris sa place dans la caravane du progrès ? Non, hélas, car la médaille a son revers.
Un économiste mondialement connu et dont la bienveillance pour notre continent ne peut être mise en doute, Mohamed el-Erian1, énumère ce qu’il nous reste à corriger :
– Le risque politique africain demeure élevé et continue d’effrayer les investisseurs étrangers.
– Les institutions politiques et économiques africaines sont encore en devenir et, souvent, ne sont pas prises au sérieux au plan mondial.
– La corruption, bien qu’en recul dans plusieurs pays, n’est pas suffisamment maîtrisée.
– La faiblesse des institutions africaines expose les économies du continent aux soubresauts politiques.
– L’expansion du secteur privé est freinée par le mauvais entretien des infrastructures de nombreux pays : l’amélioration des routes, des ports et des réseaux de distribution doit se poursuivre.
L’Afrique bouge, certes, mais pas à l’allure où se crée la dynamique de développement accélérée dont ont bénéficié les Chinois depuis trente ans et les Indiens depuis quinze.

Je suis d’accord avec ce diagnostic. Mais il me paraît nécessaire de le compléter.
À mon avis, l’Afrique ne pourra placer ses pays, fût-ce la moitié la mieux lotie, dans le Club des pays émergents2 que lorsqu’elle aura rempli les quatre conditions suivantes :
– ses dirigeants et ses classes politiques compteront plus d’hommes et de femmes portés à servir l’intérêt général plutôt qu’à se servir ;
– les universités se seront remises à former – bien et en nombre suffisant – les cadres et les chercheurs nécessaires au bon fonctionnement d’économies émergentes ;
– ses citoyens éduqués tentés de rentrer chez eux après avoir émigré seront plus nombreux que ceux qui font des pieds et des mains pour s’en aller ;
– elle cessera d’être (dans sa partie subsaharienne) la principale partie du monde où sévit le fléau très meurtrier et handicapant du paludisme.
Le sida ? Je ne l’oublie pas, bien sûr, car lui aussi est meurtrier et handicapant. Mais, bien que plus récent que le paludisme, il est mieux combattu.
Et il est aussi très présent en Inde, en Chine, en Russie et en Europe de l’Est alors que les victimes du paludisme sont dans une écrasante majorité des Africains.

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1. Président et directeur général de Pimco (Pacific Investment Management Company) et l’auteur de When Markets Collide.
2. Formé par la cinquantaine de pays non encore développés, mais dont on peut dire, sans complaisance, qu’ils sont réllement en voie de développement.

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