Wade pour l’exemple
En distinguant le président sénégalais, le jury salue la transition démocratique réussie dans son pays et son rôle de médiateur dans les conflits… Il stigmatise aussi les abus de pouvoir sur le continent.
Est-ce dû à la personnalité du récipiendaire, le président Abdoulaye Wade, troisième Africain à en être honoré après Nelson Mandela et Frederik De Klerk ? En tout cas, c’est peut-être la première fois depuis son lancement, en 1991, que le prix Félix-Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix fait autant de bruit. Jamais il n’a focalisé autant de contestation et réuni autant de monde que ce 16 mai au siège de l’Unesco, à Paris. À l’intérieur, plus de deux mille personnes ont pu avoir accès à la grande salle, après un sérieux filtrage qui a maintes fois failli tourner à la foire d’empoigne. À l’extérieur, à quelques pâtés de maisons de là, les opposants sénégalais de la Coalition populaire pour l’alternative (CPA) et du Collectif africain de lutte contre les violences politiques (CALVP) dénonçaient « les scandales et les maux dont souffre le Sénégal » aux cris de « Wade, assassin de la paix ».
On n’avait rien vu de tel, quand, en 1993, le Premier ministre israélien Itzhak Rabin, son ministre des Affaires étrangères Shimon Pérès et Yasser Arafat, le président de l’Autorité palestinienne, avaient conjointement reçu le prix. Ils n’étaient pourtant pas moins contestés, tant chez eux que sur la scène internationale. Mais sans doute voulait-on alors encourager le processus de paix en cours dans la région en les associant dans une récompense commune. Pour l’édition de cette année, la motivation du comité d’attribution, présidé par l’ancien secrétaire d’État américain et Prix Nobel de la paix, Henry Kissinger, est exactement la même. Le jury a voulu distinguer un président en exercice « pour sa contribution à la démocratie dans son pays et sa médiation lors des crises et litiges politiques en Afrique ». Tout comme il a cherché à saluer le changement au sommet de l’État sénégalais, « qui s’est opéré dans un climat de paix et de coopération » et « est devenu un exemple pour les autres pays en Afrique et dans le monde », a expliqué Kissinger.
Cette alternance démocratique unanimement saluée est apparue en filigrane dans tous les discours. À l’heure où le président tchadien Idriss Déby Itno est réélu au terme d’un scrutin sans adversaire pour un troisième mandat, après modification de la Constitution, comme l’ont fait avant lui Lansana Conté en Guinée, Yoweri Museveni en Ouganda, Blaise Compaoré au Burkina Faso et bien d’autres, un satisfecit est ainsi délivré aux deux Sénégalais : Abdoulaye Wade, et son prédécesseur, parrain du prix Houphouët-Boigny et actuel secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Abdou Diouf… dont le discours élogieux à l’endroit du récipiendaire alimente la gazette dakaroise. Le message subliminal a certainement été perçu par beaucoup de chefs d’État, africains ou non. À commencer par le Nigérian Olusegun Obasanjo, tenté de se maintenir au pouvoir pour un troisième mandat consécutif. Un Obasanjo présent à la cérémonie aux côtés de Jakaya Kikwete (Tanzanie), Amadou Toumani Touré (Mali), Marc Ravalomanana (Madagascar), Azali Assoumani (Comores) – dont c’était l’une des dernières apparitions publiques en tant que chef d’État, car son pays vient de porter à sa tête Ahmed Abdallah Sambi -, Nino Vieira (Guinée-Bissau) et Teodoro Obiang Nguema (Guinée équatoriale), ainsi que de leur homologue français, « Chirac l’Africain », comme l’a surnommé Wade dans son discours.
Maintes fois interrompu par les applaudissements, ce dernier a exprimé ses remerciements à la fois en français et en anglais, autant par engouement personnel pour le monde anglo-saxon que par respect pour la partie anglophone du continent, représentée par Kikwete et Obasanjo. « Pour vivre ensemble dans la paix, commençons d’abord par l’éducation et la formation de nos enfants », a-t-il déclaré. Pour illustrer sa détermination, il a annoncé sa décision de reverser le montant du prix (122 000 euros) à la Case des tout-petits, une structure préscolaire qui met à la disposition des enfants de 2 à 6 ans des jouets éducatifs et des ordinateurs.
Le chef de l’État sénégalais a également évoqué son parcours politique, sans en omettre les périodes sombres : « Plus d’une fois, j’ai connu la prison. Je le dis sans rancune et sans haine, simplement parce que c’est l’Histoire. » Des propos qui ont conforté les jurés du prix dans leur décision de lui attribuer la récompense en saluant une transition démocratique réussie. Et à montrer en exemple.
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