Le Tchad met le cap sur l’Ennedi

Pour faire découvrir les paysages uniques du Nord-Est tchadien, un voyagiste français a affrété des avions pour Faya. Un an après la première expédition, le goût de l’aventure semble avoir pris.

L’arche de Bishekele, dans l’Ennedi. © Jimmy Chin/Barcroft Media/Abacapress

L’arche de Bishekele, dans l’Ennedi. © Jimmy Chin/Barcroft Media/Abacapress

Publié le 26 mars 2013 Lecture : 5 minutes.

Il est tout à la fois mystérieux, fascinant, sauvage et hors du temps. Dans le nord-est du Tchad, le long de la frontière soudanaise, le massif de l’Ennedi ne cesse de surprendre : ses milliers de pics de grès sculptés par les vents et le sable, ses lacs (salés ou non), ses larges vallées d’acacias, ses canyons labyrinthiques et guelta (points d’eau) insoupçonnées, ses caravanes de dromadaires cheminant vers les sources… au fil du sable et de l’eau, tout est à la fois simple, époustouflant et apaisant.

Réputé être l’un des joyaux les plus secrets et inaccessibles du Sahara, rongé par près de quarante ans de conflits et de rébellions – mais en paix depuis 2009 -, le nord du Tchad, terre des Toubous, s’est ouvert aux touristes. Depuis un peu plus de un an, la coopérative française de voyageurs Point-Afrique propose des circuits de randonnée inédits pour découvrir ces paysages grandioses.

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Aux amoureux du désert, marcheurs ou néophytes, dix-sept circuits sont proposés.

Rêve

À l’ouest du massif de l’Ennedi, Faya-Largeau, la capitale de la région du Borkou, héberge l’unité militaire française du fameux dispositif Épervier, lancé en 1986 pour protéger le régime de Hissène Habré d’une invasion de la Libye, qui soutenait son rival déchu, Goukouni Weddeye. La vie de Faya reste rythmée par les atterrissages des Transall qui viennent ravitailler les forces françaises, toujours présentes. À l’exception de rares vols officiels tchadiens, aucun appareil civil ne se posait sur la petite piste bitumée isolée au milieu des sables… Jusqu’à il y a peu. Car, à des milliers de kilomètres de là, en Ardèche (sud-est de la France), Maurice Freund, le fondateur de Point-Afrique, nourrissait un vieux rêve : poser un avion par semaine à Faya pour emmener ses randonneurs à travers le Borkou et l’Ennedi. Dans le même temps, « nous avions envie de faire redécouvrir aux voyageurs ces régions désormais sécurisées », explique Mahmoud Younous, directeur général de l’Office tchadien du tourisme.

Sur la même longueur d’onde, les Tchadiens ont vite donné leur bénédiction au projet de Point-Afrique. En revanche, les autorités françaises l’ont vu d’un mauvais oeil, considérant qu’il était totalement imprudent d’envisager de telles expéditions. Forte pression du Quai d’Orsay, rumeur d’attentat contre l’avion, énormes problèmes de logistique… Pour Maurice Freund, l’organisation du premier vol s’est transformée en véritable parcours du combattant. Mais, décidé à aller jusqu’au bout, il a tenu le cap. Et le 22 février 2012, le Boeing 737 s’est posé sans encombre à Faya-Largeau.

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Le Sahara, de la passion à la raison

Depuis plus de quatre décennies, Maurice Freund, 69 ans, se bat pour un tourisme éthique, respectueux de l’autre et de son environnement. Après l’Inde, le Mexique et l’Amérique du Sud, le fondateur de Point Mulhouse, devenu Point-Afrique en 1996, a décidé de concentrer ses vols charters sur le continent africain pour amener des voyageurs dans des régions réputées difficiles en Algérie, en Mauritanie, au Niger et au Mali. Après l’enlèvement des premiers touristes dans l’Adrar mauritanien en 2007, la montée de la menace terroriste et le classement en zone rouge de ces régions par les autorités françaises ont contraint le tour-opérateur à abandonner successivement Atar (Mauritanie), Tamanrasset et Djanet (Algérie), Gao et Mopti (Mali) puis Agadès (Niger), jusqu’à suspendre complètement les activités qu’il avait développées depuis quinze ans dans ces pays.

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Entre 2009 et 2011, la société a perdu 6,5 millions d’euros et son effectif est tombé de 90 à 5 salariés. Une fois la paix revenue au Tchad (en 2009), fidèle à sa passion pour les paysages et les peuples de la bande sahélo-saharienne, Maurice Freund a misé sur le Borkou et le massif de l’Ennedi. Il a ainsi noué un mariage de raison avec le pays, le seul qu’il dessert désormais dans la région. Dans un premier temps, pour la saison 2013-2014, il compte étoffer son offre dans le Nord. Mais il projette déjà de développer de nouveaux circuits dans d’autres régions tchadiennes dans les années à venir. Justine Spiegel et Boureima Salouka

Désormais, les trois longs jours de piste entre N’Djamena et le Borkou ne sont plus un passage obligé. Depuis décembre dernier, deux à trois fois par mois, les appareils affrétés par Point-Afrique (les vols sont assurés par le français Air Méditerranée) débarquent 100 à 140 passagers en provenance de Marseille sur l’aérodrome de Faya, en pleine remise aux normes.

Nouveaux métiers

Aux amoureux du désert, marcheurs chevronnés, néophytes en quête de sérénité et d’inédit… dix-sept circuits sont proposés (en 4×4 et promenades, randonnées ou treks), pour 1 000 à 1 500 euros la semaine et 2 000 à 3 600 euros les deux semaines. Bien qu’aucun bilan chiffré n’ait encore été établi, cette nouvelle forme de tourisme équitable a déjà des retombées économiques dans ces régions pastorales enclavées. Sur place, une dizaine de guides et accompagnateurs, autant de cuisiniers et de chauffeurs locaux, sont déjà employés. Ils doivent être formés à ces métiers, nouveaux pour eux. Reste à pérenniser l’aventure.

Quelque 400 téméraires l’ont tentée en février-mars 2012. Ils devraient être entre 1 300 et 1 600 pour la saison 2012-2013 (de fin septembre à fin mars), 6 000 en 2013-2014 et 11 000 en 2014-2015, selon l’Office tchadien du tourisme. Si le succès est au rendez-vous, il n’est cependant pas certain que ces objectifs soient atteints.

En effet, le déclenchement de l’opération Serval dans le Nord-Mali et la prise d’otages d’In Amenas en Algérie, en janvier, ont sérieusement freiné les ventes. Un ralentissement que l’enlèvement de sept touristes français dans le nord du Cameroun, le 19 février, a encore aggravé. Le ministère français des Affaires étrangères déconseille désormais formellement les voyages dans le sud-ouest du Tchad, le long de la frontière avec le Cameroun – depuis le lac Tchad jusqu’au niveau des villes de Binder et Léré, dans le Mayo-Kebbi-Ouest. Le secteur est classé comme zone rouge, de même que les régions frontalières de la Centrafrique, du Niger, du Sud libyen et du Soudan, « susceptibles d’être utilisées comme couloirs, voire zones de repli pour certains groupes en provenance du Nord-Mali », selon l’avis émis par le Quai d’Orsay.

De son côté, le tour-opérateur français maintient que la sécurité des voyageurs est assurée. « La Garde nationale nomade du Tchad patrouille dans nos zones, et nous n’avons jamais eu à déplorer d’incident », garantit Philippe Freund, le fils du fondateur de Point-Afrique, qui n’envisage pas de renoncer aux vols prévus en mars. Le 25 février, sur les 141 clients censés s’envoler de Marseille pour Faya, seuls 13 ont préféré se conformer aux directives sécuritaires des autorités françaises et annuler leur départ. 

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