L’Érythrée devient indépendante

Publié le 21 mai 2006 Lecture : 3 minutes.

Au terme de la plus longue guerre de libération de l’histoire africaine – trente ans de combats sanglants contre le pouvoir central éthiopien – et après un référendum approuvé par 99 % de la population, à zéro heure précise ce 24 mai 1993, l’Érythrée bascule dans une ère nouvelle : elle est désormais un État indépendant. La foule est dans les rues, et la fête bat son plein. Tout Asmara chante et danse alors qu’un immense feu d’artifice embrase le ciel.
Mais si l’émotion est à son comble, c’est que chacun, dans son for intérieur, pense aussi au prix payé, celui du sang et de la souffrance, des dizaines de milliers de morts, de blessés et de handicapés. De la solitude, aussi, l’Érythrée n’ayant compté que sur elle-même pour exister dans le monde bipolaire de la guerre froide. Silence écrasant des autres pays d’Afrique, figés dans la stricte observance de frontières héritées de la colonisation. Indifférence des puissances occidentales, qui n’ont jamais considéré la Corne de l’Afrique que comme un terrain de lutte d’influence, conjuguant l’art de la palinodie avec celui de l’opportunisme. Impuissance, enfin, du système des Nations unies qui, en dépit du flot constant des réfugiés, des déplacés et des dizaines de milliers de prisonniers de guerre, n’a jamais accepté d’intervenir sur un territoire dont le gouvernement n’était pas officiellement reconnu.

C’est donc sa propre communauté et sa diaspora que l’Érythrée remercie en premier lieu, au jour de son indépendance. Elle rend également hommage au soutien discret de quelques pays arabes et du Soudan qui, paradoxalement, n’a cessé d’observer avec bienveillance la flèche érythréenne plantée au flanc du lion éthiopien. Sans oublier les ONG, qui ont assuré le gîte et le couvert des civils pendant toutes les années de guerre.
Addis-Abeba est la première capitale à reconnaître l’indépendance de l’Érythrée. La stratégie d’Issayas Afewerki, leader du Front populaire pour la libération de l’Érythrée (FPLE), avait été, face à une Éthiopie « impérialo-marxiste » et centralisée dirigée par Mengistu Haïlé Mariam, d’encourager les mouvements de rébellion, à commencer par le Front populaire pour la libération du Tigré (FPLT), de Mélès Zenawi. L’explosion du bloc soviétique entraîne le renversement des alliances conclues durant la guerre froide. Le « Négus rouge », sous la pression des rebelles, quitte le pays en mai 1991. Il laisse le pouvoir au FPLT, qui se choisit bientôt un Premier ministre en la personne de Zenawi. L’Érythrée, dirigée par le FPLE d’Afewerki, est un territoire exsangue, pratiquement sans infrastructure, peuplé de 3,5 millions d’habitants, dont 80 % sont des paysans illettrés. Le système traditionnel de répartition des terres a été aboli sous Mengistu, tous les outils de production appartiennent au pouvoir, et le commerce maritime a pratiquement cessé.
Aferwerki promet de mettre le pays à flot, de développer les secteurs des mines, du tourisme, de la pêche et de l’élevage. En revanche, il ne semble pas pressé d’instaurer le régime pluraliste qu’il a promis aux Américains en échange de leur soutien économique. Il envisage d’abord une transition de cinq ans, au terme de laquelle le FPLE serait dissous et transformé en parti politique. L’opposition en exil crie à la dictature. Au sein même du mouvement, quelques voix se font entendre pour regretter également que le Front de libération de l’Érythrée (FLE), faction dissidente du FPLE, ne soit pas davantage associé au pouvoir.

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Sur le plan extérieur, l’indépendance de l’Érythrée va provoquer de profonds bouleversements. Les nouvelles frontières privent (géographiquement) l’Éthiopie d’accès à la mer. Un accord de coopération économique, politique et social prévoyant un usage commun des ports de Massawa et Assab est signé entre les deux partenaires dès le 30 juillet. Les observateurs s’interrogent cependant sur le destin de ces alliés objectifs. Les États-Unis misent pourtant sur ce petit pays qui se pose comme un bastion face à la montée du fondamentalisme islamique que l’on voit à l’uvre au Soudan, où une guerre civile oppose le Nord musulman au Sud chrétien et animiste.
Israël leur emboîte le pas et suscite la suspicion d’une partie de la classe politique. Celle-ci craint le rejet des populations musulmanes originaires des basses terres, dont font partie les irrédentistes nomades Afars, et l’isolement du pays de ses grands voisins : Égypte, pays du Golfe, avec lesquels les relations sont déjà glaciales. Mais pour l’heure, c’est sur l’unité nationale et la solidarité que compte le nouveau pouvoir pour asseoir l’Érythrée dans le concert des nations.

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