« Les partis marocains sont nuls. » Soit, mais que faire ?

Publié le 21 mai 2006 Lecture : 4 minutes.

Il y a vingt ans, Jean-Jacques Servan-Schreiber et Shimon Pérès considéraient que l’économie des pays arabes était de type primaire, le sens de l’honneur et du pouvoir dépendant étroitement de la possession de la terre. À l’inverse, l’économie israélienne, de type tertiaire, a pour vocation la maîtrise du savoir et de l’immatériel. De ce fait, si l’État d’Israël améliore ses relations avec son « arrière-pays » arabe, il en fera un vaste marché qui lui donnera toute la mesure de son avance technologique. La terre contre la paix deviendrait ainsi : « je te rends ta terre et je prends le contrôle de ton économie ». L’opération sera d’autant plus profitable que les milliers d’enfants palestiniens, souvent embrigadés dans les Intifadas successives, n’auront pas l’éducation nécessaire pour préserver l’économie de leur futur État. Ils croyaient résister à l’occupation, mais il est malheureusement probable qu’ils seront les laissés-pour-compte de la paix.

Dans nos pays, il arrive que la façon de combattre mène à tout sauf à l’objectif proclamé du combat. Nous oublions souvent que les valeurs du travail et du savoir sont indispensables à l’affirmation d’un peuple. Et pourtant ces valeurs, véritables outils de résistance et de libération, font partie des enseignements fondamentaux de l’islam.
Pour reprendre la classification Schreiber/Pérès, à quelle catégorie appartiennent les hommes politiques marocains ? Sont-ils primaires, secondaires ou tertiaires ? Les partis ne sont pas seulement nuls (voir J.A. n° 2365, l’article de Hamid Barrada), ils risquent d’être non avenus et de disparaître tout bonnement. Et plus qu’un droit, c’est un devoir que de le dire aujourd’hui haut et fort.
Pendant de longues années, toute critique, publique ou interne, de nos structures partisanes passait pour une trahison. Ma génération – ceux qui ont 40 ans aujourd’hui – avait décidé, dans les années 1980, de porter sur la place publique la question cruciale de l’inadéquation des partis – et particulièrement l’USFP – avec les besoins des citoyens. Nous avons tout essayé : séminaires, manifestations, articles de la presse nationale ou étrangère, lobbying, syndicalisme Cette action d’opposition dans l’opposition avait favorisé l’émergence de quelques individualités, mais n’avait pas eu d’impact sur les structures qui ont continué à s’éloigner des réalités populaires.
Aujourd’hui, nous sommes parvenus à la conclusion que le vrai problème n’est pas idéologique, mais méthodologique. Il n’est pas de participer ou non au gouvernement, ni d’être de gauche ou de droite, mais plutôt de disposer du bon outil de travail sur le terrain des réalités. Le problème, d’ailleurs, n’est pas limité aux seuls partis, il traverse tout le spectre politique, pouvoir compris.
Les partis n’ont pas pu se hisser au niveau d’un fonctionnement moderne. Ils restent dominés par l’autorité archaïque des zaïms. Au Maroc, la vie d’un militant s’échelonne sur soixante ans : dix ans pour participer à l’émergence d’un zaïm, dix ans pour se rendre compte que celui-ci n’est pas l’homme providentiel, dix ans pour le détrôner et trente ans pour tenter de rattraper le temps perdu et profiter du système politique.
Il fut un temps où mobiliser les foules était facile : on sortait pour voir Mohammed V sur la lune, on militait pour l’indépendance ou pour la démocratie… Aujourd’hui, les choses sont plus complexes et, du coup, les partis ne semblent pas en mesure de s’adapter. Leur légitimité a fait son temps, elle n’est pas enracinée dans le présent et encore moins dans l’avenir. La lune ne peut plus être un thème mobilisateur.

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La réhabilitation de l’action politique est un passage obligé pour les autorités qui ne peuvent se contenter des seules structures associatives pour toucher leurs administrés mais aussi pour les populations qui ne peuvent rester au stade primaire de la revendication et de l’attente du mektoub.
Certains ont cru que les islamistes ont une longueur d’avance, car ils s’appuient sur un système véritable : l’islam. En vérité, ils ne sont pas mieux lotis que les autres, car nombre de leurs mécanismes intellectuels restent également imprégnés d’archaïsme. Ils ne songent pas à mettre à profit la profondeur positive de l’islam. Au fond, nous avons d’un côté des médiocres sans système et de l’autre des médiocres qui se cachent derrière un système. Et il y a fort à parier que, dans l’épreuve, la commune médiocrité se révélera au grand jour.
Le Maroc pourrait-il faire l’économie d’une médiocrité voilée qui viendrait se substituer à une médiocrité passéiste ? Ce qui est sûr, c’est que nous n’avons vraiment pas besoin d’islamistes pour sortir de la crise, nous avons surtout besoin de citoyens lucides et courageux pour refonder l’action politique au Maroc. Certes, nos partis sont nuls, mais l’action politique, et donc partisane, n’a jamais été aussi nécessaire.

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