Histoires d’arbres

Comme pour beaucoup de gens sans doute, ma connaissance de l’arbre n’allait pas plus loin que sa cime. Si je reconnaissais volontiers son rôle nourricier et appréciais son ombre bienfaisante par temps caniculaire, sa beauté figée ne m’interpellait pas plus que ça.
Un incident allait changer à jamais ma vision de cet être de bois et de sève. Voulant me consulter sur un terrain qu’elle projetait d’acheter, ma cousine m’avait demandé de l’accompagner pour évaluer ce site, qui semblait idéal à tous points de vue. Immense, financièrement avantageux, il se trouvait en effet à quinze minutes des stations balnéaires sénégalaises de Saly et de la Somone.

Nous voilà devant le terrain. Le paysage, hérissé de baobabs, est beau à couper le souffle. Je ne doute pas que ma cousine succombe elle aussi à son charme. « Alors ? » lui dis-je, persuadée qu’elle allait signer sur-le-champ. Surprise ! Celle-ci ne semble guère emballée. Son visage est long comme un jour sans pain de singe. « C’est que, tous ces baobabs », commence-t-elle. « Justement, c’est ça qui rend le paysage si poétique ! » Elle secoue la tête : « Oui, mais les baobabs sont connus pour être des repaires de génies »
Les bras m’en tombèrent d’étonnement comme deux branches mortes. Comment ma cousine pouvait-elle croire à de pareilles sornettes, d’autant que le baobab, omniprésent au Sénégal, est par excellence la figure emblématique de ce pays ?

Nombre de personnes nourrissent une certaine défiance envers l’Arbre en oubliant qu’il est la poussée de la vie, la perpétuelle régénération et le témoin des cycles. De tous les thèmes symboliques, il est l’un des plus riches, des plus anciens et des plus sollicités. Présent dans la genèse même des religions, il inspire depuis la nuit des temps quantité de mythes et de légendes. Si, pour l’islam, l’olivier est le centre et le pilier du monde, le saule est l’arbre de Yahvé pour les juifs. Quant au bouleau, il est encore vénéré en Russie, tandis qu’en France le chêne a toujours fait l’objet de dévotions particulières, dont certaines perdurent.

Depuis l’affaire du terrain, je regarde maintenant les arbres de mon il perçant de chouette. Je suis persuadée que, sous leur écorce palpitante, ils ont une âme. Pour la petite histoire, le malheur des uns faisant le bonheur des autres, je me suis portée acquéreur de la parcelle dont ma cousine ne voulait pas, n’ayant jamais cru aux djinns ni aux korrigans. Il ne me reste plus qu’à déterrer la lampe d’Aladin pour pouvoir bâtir la masure de mes rêves. Génie, es-tu là ?