Cheikha Rimitti

La chanteuse algérienne est décédée le 15 mai à Paris.

Publié le 21 mai 2006 Lecture : 3 minutes.

Le samedi 13 mai, elle enflammait la grande scène du Zénith de Paris devant des milliers de spectateurs, apprêtée comme une jeune mariée, aux côtés du chanteur Khaled et d’autres stars du raï oranais. « Les cocottes-minute », comme elle les appelait quand elle piquait ses colères légendaires. Ceux qui ont connu le succès en reprenant ses morceaux, « La Camel », « Hahouma Jaw », « Madre Madre » et tant d’autres Cheikha Rimitti était colérique, certes, mais pas rancunière. Elle a fait une dernière fois la fête avec les siens, avant de s’en aller deux jours plus tard, emportée par une crise cardiaque dans son appartement parisien à l’âge de 83 ans.

Elle est née Saâdia Bedief, mais gare à quiconque osait prononcer ce nom devant elle ! Rimitti coupait court à des interviews pour moins que ça. Depuis que certains journalistes s’étaient penchés sur son passé à Rélizane, puis à Oran, du temps où elle chantait dans les bars et où il lui arrivait de dormir dans des hammams, elle se méfiait de tout le monde et refusait même les interviews à la presse arabophone. Une fantaisie en réalité pour une dame qui mettait dans ses chansons tout ce qu’elle voulait effacer de sa biographie. Car, pendant plus de cinquante ans, la diva n’a rien chanté d’autre que l’amour, la passion et l’ivresse, avec la même délectation. C’est d’ailleurs dans un bar d’Oran qu’elle sera surnommée « Rimitti », à force de crier « Remettez ! Remettez la tournée ! ». Une légèreté de ton qui lui vaudra d’être longtemps interdite d’ondes dans son propre pays.

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Son premier disque fut son premier succès. C’était Er-Raï Er-Raï, sorti en 1952 sous son nom de scène de l’époque « Cheikha Remettez Rélizania ». Mais qu’on ne s’y trompe pas : celle qu’on appelait à tort « la mamie du raï » détestait ce mot. « Les raïmen n’étaient pas encore nés que je chantais déjà ! » ne cessait-elle de rappeler. Quant à sa musique, elle ne lui donnait pas de nom. C’était « la musique de chez elle », de son Ouest algérien, el-gasba ou el-gallal, du nom des deux instruments, la flûte de roseau et le tambourin. Elle chantait, de sa voix rauque, et la vie faisait le reste. C’est elle qui lui inspirait ses textes, tantôt fleur-bleue, tantôt sulfureux. Elle qui n’a jamais su lire ni écrire lègue aujourd’hui un répertoire de plus de deux cents chansons, parmi lesquelles des dizaines de tubes qui font d’ores et déjà partie du patrimoine algérien.

Rimitti a eu plusieurs vies, et autant de carrières à son actif. Après le succès de ses débuts dans les années 1950, elle souffrira, comme beaucoup d’autres artistes, du rigorisme de la jeune Algérie indépendante des années 1960. Qu’importe ! elle décide de refaire sa vie en France et quitte donc Oran pour Paris au début des années 1970. Une vie modeste et un succès furtif avec l’émergence du mouvement raï dans les années 1980, qu’elle inspirera sans en tirer ni gloire ni reconnaissance. « N’est-il pas temps pour vous d’aller accomplir votre pèlerinage à La Mecque ? » lui lança un jour un journaliste indélicat. Rimitti, folle de rage, boudera dès lors les médias. Reprenant sa vie de bohème, elle se produira souvent dans des bars communautaires des quartiers populaires de Barbès ou de Belleville, toujours accompagnée de ses fidèles musiciens.
Qui, à l’époque, aurait pu imaginer que cette septuagénaire chantant sur des coins de comptoir s’apprêtait à redémarrer une nouvelle carrière ? C’est bien ce qu’elle fera dès la fin des années 1990, en surprenant tout le monde avec la sortie de l’album Sidi Mansour. Elle remettra ça en 2000 avec un opus tout aussi étonnant intitulé Nouar. Et c’est en décembre 2005 qu’elle sortira son – ultime – album, résolument moderne, N’ta Goudami. Dans son titre phare, Cheikha Rimitti y chante avec malice « Passe devant moi, je te suis ! ». Un clin d’il à tous ceux qui auraient voulu l’enterrer trop vite.

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