Un Antonioni à la turque

Publié le 21 janvier 2007 Lecture : 2 minutes.

Les amoureux du beau cinéma étaient nombreux lors du dernier Festival de Cannes à souhaiter sinon promettre une Palme d’or à Nuri Bilge Ceylan pour ses Climats, qui n’ont malheureusement rien obtenu au palmarès. Avec son quatrième long-métrage, le réalisateur, déjà remarqué pour le superbe Uzak en 2003, prouve qu’il est certainement le meilleur cinéaste turc contemporain et qu’il fait partie des grands du septième art.
L’argument de Climats pourrait sembler banal, voire rebattu. Le film raconte en effet, en plus d’une heure et demie et sans beaucoup de rebondissements, l’histoire d’une rupture, d’un désamour plus exactement, entre un homme, le ténébreux et machiste Isa, et sa femme, la jeune et belle brune Bahar, qui ont constaté chacun de son côté l’impasse à laquelle a abouti leur relation. La séparation, supposée provisoire, se décide en été, au bord de la Méditerranée et sous un soleil écrasant. Elle prend une tournure plus définitive, jusqu’à ce que Isa, une fois l’hiver et le froid arrivés, dans les paysages comme dans sa vie, s’emploie à reconquérir Bahar, partie travailler pour la télévision dans une région enneigée de l’est de la Turquie. Dans ce décor désolé, la tentative de réconciliation, pathétique, tournera au fiasco. Croire qu’après un échec on peut tout recommencer en oubliant le passé est illusoire.
Fatigue amoureuse, désagrégation d’un couple, intermittence des saisons et des sentiments, passage d’une certaine douceur à la franche rudesse, mirages de la liberté, difficultés de communiquer Des thèmes certes chers à de grands cinéastes mais qui peuvent hanter – c’est souvent le cas – des films interminables et prétentieux. Surtout quand le réalisateur, comme ici, aime les longs plans-séquences, préfère les silences aux dialogues, privilégie les belles images plutôt que l’action, l’inexprimable plutôt que l’expressivité. Et pourtant, on ne s’ennuie jamais en regardant Les Climats. Comme chez Bergman ou, plus encore, Antonioni, auquel – quel hommage ! – on compare désormais le cinéaste turc, la peinture subtile des sentiments et la sensualité des personnages suffisent à soutenir l’intérêt du spectateur, qui éprouvera de surcroît un intense plaisir esthétique. Car dans ce pas-grand-chose, devant la caméra de l’auteur, on retrouve tout ce qui fait le sel comme le dérisoire de la vie. Au-delà de toute morale convenue et sans aucune intention démonstrative.
Réalisateur mais aussi scénariste, monteur, acteur principal – au côté de celle qui joue Bahar et qui n’est autre que sa propre femme dans la vie courante -, Nuri Bilge Ceylan paie de sa personne pour obtenir le résultat qu’il recherche. Il l’a d’autant mieux obtenu dans ce film à petit budget qu’après avoir fait le choix de tourner en vidéo numérique, il a su profiter de tous les atouts que propose ce choix technologique – faculté de multiplier les prises pour trouver le ton juste, grain des images, travail sur la profondeur du champ qui permet de jouer avec le proche et le lointain, utilisation des techniques du documentaire, etc. – en évitant ses écueils. Ce qui fait de Climats, malgré son sujet intemporel, un film résolument moderne. Et de son auteur un cinéaste plein d’avenir.

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