Sommes-nous des « primitifs » ?

Publié le 21 janvier 2007 Lecture : 2 minutes.

L’heure est grave. Le scandale est énorme. Les répercussions diplomatiques sont incalculables.
Et tout cela se passe sous notre nez, à Paris, à un jet de pierre du Quai d’Orsay, à deux pas de la tour Eiffel, à trois encablures de l’Assemblée nationale, à quatre (on pourrait continuer longtemps comme ça).

De quoi s’agit-il ?
Hier, je suis allé visiter la nouvelle attraction dont Paris s’enorgueillit, le musée du Quai Branly, qui devait à l’origine s’appeler musée des Arts primitifs. Le bâtiment, signé Jean Nouvel, est assez extraordinaire. Les jeux de lumières (il faut revenir à la nuit tombée) sont très réussis. L’aménagement intérieur est ingénieux, les couleurs chaudes, la présentation soignée. Mais on n’est pas là pour parler de ça. On est là pour parler de ma stupéfaction, que dis-je, de mon indignation quand au milieu des masques dogons, des tambours tubuais et des sabres taïs, je tombe sur le petit bol dans lequel je buvais ma harira quand j’étais gamin. Pas d’erreur possible : un cartouche précise qu’il s’agit de l’écuelle dans laquelle les Marocains mangent leur soupe nationale. Juste à côté, on trouve la soupière dans laquelle ma mère servait ladite harira. Plus loin, la petite fiole dans laquelle nous conservions l’huile d’argan, du côté d’Essaouira.
Du coup, je fus saisi par l’effroi. Et si les gardiens s’apercevaient que j’étais un « indigène » ? Qui sait s’ils n’allaient pas se saisir de ma personne et m’exhiber dans une cage, pour la plus grande joie des petits Parisiens ? Peut-être ces sales mômes allaient-ils me bombarder de cacahouètes ?

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Et ce n’était pas fini. En filant ventre à terre vers la sortie, j’aperçus quelques tapis berbères, exposés entre un poncho inca et un pagne baoulé. Un tapis berbère, mais c’est quasiment ma cousine qui l’a tissé ! J’accélérai le pas. Une fois en sécurité dans l’anonymat des rues, un courroux biblique m’envahit. C’était bien la première fois que tout un musée m’insultait.
Tu traites mon grand-père de primitif, sale musée ?
Ma mère, aborigène ?
Tu veux un coup d’boule à la Zidane ?
Ces gens-là savent-ils que l’université Qarawyine de Fès fut fondée en l’an 859, c’est-à-dire à une époque où les mammouths broutaient le long de la Seine, où Buckingham Palace abritait une horde de dinosaures et où la Hollande n’était qu’un marais infesté de moustiques ? Qui est le primitif, un hooligan anglais ou moi ? Qui c’est qui ressemble à un ouistiti, George Bush ou mon oncle ?
Pour nous venger, je ne vois qu’une solution. Puisque Tanger devrait abriter l’Exposition universelle de 2012, je suggère à mon ami Hassad, le wali de la ville, de grouper tous les pays de l’Union européenne dans les grottes d’Hercule, au sud de la ville, et de rebaptiser celles-ci « cavernes de la Préhistoire ». On y exhibera la pittoresque petite tasse dans laquelle la reine d’Angleterre prend son thé à cinq heures

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