Sidi Mohamed Ould Boubacar

Suite de notre série consacrée aux Premiers ministres africains. Cette semaine, direction la Mauritanie, où un énarque au-dessus des partis est chargé de conduire la transition vers un nouveau régime.

Publié le 21 janvier 2007 Lecture : 6 minutes.

Sidi Mohamed Ould Boubacar est Premier ministre depuis le 7 août 2005. Il avait déjà occupé le poste en 1992, au temps de Maaouiya Ould Taya. C’est le colonel Ely Ould Mohamed Vall, l’instigateur de la révolution de palais du 3 août 2005, qui, se souvenant de son parcours sans faute, a fait appel à lui. Dans l’opposition, certains s’en sont émus. « Je pensais, commente Messaoud Ould Boulkheir, le président de l’Alliance populaire et progressiste, que la transition se traduirait par la mise en place d’hommes nouveaux. Or, à une ou deux exceptions près, ce sont tous des hommes d’Ould Taya. »
Dès son installation, « Sidi Mohamed », comme l’appellent nombre de ses compatriotes, se fixe trois priorités : la révision de la Constitution, la création d’une commission électorale indépendante (une vieille revendication de l’opposition) et la refonte des listes électorales. Du 25 au 29 octobre 2005, des « Journées de concertation nationale » se tiennent à Nouakchott pour tenter de trouver des remèdes aux maux dont souffre la Mauritanie : la difficile cohabitation entre les communautés noire et arabo-berbère, la gabegie qui prévaut dans la gestion des affaires publiques et contribue à creuser le fossé entre riches et pauvres, le fait que l’impunité soit presque érigée en règle de gouvernement Ould Boubacar y annonce que le président du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD) mis en place après la chute d’Ould Taya a décidé de ramener de vingt-quatre à dix-neuf mois la durée prévue de la transition. L’opposition applaudit.
Le 25 juin 2006, les Mauritaniens approuvent massivement, par référendum, le projet de nouvelle Constitution. Les 19 novembre et 3 décembre, les élections municipales et législatives ne sont marquées par aucune irrégularité. Le 19 janvier se tiennent les élections sénatoriales. À l’approche de la présidentielle du 11 mars, Ould Boubacar peut afficher sa sérénité.
Né le 31 mai 1957 à Atar, dans le nord du pays, il est le fils d’un ancien sous-officier de l’armée française. Après l’indépendance, son père intègre la nouvelle armée mauritanienne, au sein de la 1re compagnie de commandos parachutistes, basée à Jreïda. Originaire de Chaagar, dans le Brakna, au bord du fleuve Sénégal, la famille Ould Ahmed se fixe à Néma, près de la frontière malienne. Le jeune Sidi Mohamed poursuit ses études à Nouakchott, mais rentre régulièrement à Néma, où le spectacle de la brousse à perte de vue le ravit. Quand ses camarades s’adonnent aux jeux de leur âge, lui se consacre à la lecture, sa grande passion. En 1976, il obtient son baccalauréat A (lettres modernes), puis intègre l’École nationale d’administration, à Nouakchott.
Le 10 juillet 1978, lorsque l’armée mauritanienne s’empare du pouvoir, Sidi Mohamed se trouve en voyage d’études à New York, avec un groupe de jeunes de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (CEAO). Une invitation du département d’État américain aux lauréats des Écoles nationales d’administration Atterré, il regagne au plus vite Nouakchott, en pleine effervescence, puis reprend le chemin de l’école.
Fin 1980, il sort major de sa promotion. En plus de son diplôme d’administrateur des régies financières, il décroche une bourse d’études de trois ans en France. L’année suivante, l’élection de François Mitterrand et le retour au pouvoir des socialistes après une longue traversée du désert l’impressionnent favorablement. Sidi Mohamed se découvre un goût pour la politique. En 1983, il obtient un DEA en droit économique, à Orléans, puis regagne son pays. Il entre au ministère des Finances, où il est successivement directeur du Budget, du Plan, du Trésor En 1990, c’est la consécration : il est nommé ministre des Finances.
En 1992, à l’issue d’un scrutin entaché de fraudes, Ould Taya, au pouvoir depuis huit ans, est reconduit dans ses fonctions, mais la situation est catastrophique. Le pays traverse une grave crise financière et ses rapports avec ses voisins, notamment le Sénégal, auquel un conflit sanglant l’a opposé en 1989, sont détestables. Du coup, la Mauritanie est mise à l’index par le FMI et la Banque mondiale, marginalisée sur la scène internationale.
Le régime a impérativement besoin d’un homme dont la probité intellectuelle et morale ne puisse être mise en cause. Ould Boubacar, qui a conservé des relations dans tous les milieux et dispose d’un carnet d’adresses impressionnant, a le bon profil. En avril 1992, à 35 ans, il est nommé Premier ministre. Mettant à profit sa parfaite maîtrise du français et de l’anglais, il parvient peu à peu à restaurer l’image de son pays à l’étranger. Sur le plan intérieur, il engage d’importants chantiers : construction de routes, électrification des campagnes
En 1996, Ould Taya l’incite à quitter la primature pour prendre le secrétariat général du Parti républicain démocratique et social (PRDS), qu’il conservera deux ans, et, simultanément, le secrétariat général de la présidence de la République. Par la suite, pour lui permettre de siéger au Conseil des ministres, le chef de l’État créera à son intention le poste de ministre-directeur de cabinet. Le 8 juin 2003, une sanglante tentative de coup d’État échoue de justesse. Ould Boubacar, à qui l’on reproche de n’avoir rien vu venir, est limogé. Dès le début de l’année suivante, une porte de sortie honorable lui est néanmoins ménagée : il est nommé ambassadeur en France, pays où les opposants au régime mauritanien sont nombreux et actifs. Comment a-t-il réagi à cette mise à l’écart ? « J’ai bien vécu mon séjour parisien », élude-t-il.
« Sidi Mohamed a toujours été un technocrate davantage qu’un politique, dit de lui Diallo Mamadou Bathia, un ami de trente ans qui est aujourd’hui l’un de ses proches collaborateurs. C’est un patriote que les rivalités tribales n’ont jamais intéressé. Il ne veut retenir des hommes que ce qu’ils sont, pas leur appartenance à telle ou telle communauté. Si on lui confie souvent des tâches délicates, c’est parce qu’on connaît son sens de la mesure, son détachement des passions partisanes. » Ses détracteurs, en revanche, désapprouvent sa capacité à travailler avec n’importe qui, à s’accommoder de toutes les situations.
Méticuleux, discret, réservé, il a pourtant laissé son empreinte partout où il est passé. Pour son « second mandat », il a fait de l’assainissement économique et financier sa priorité. Il lui faut rétablir des relations de confiance avec les bailleurs de fonds et instaurer davantage de transparence dans la gestion des affaires publiques. Il s’efforce par ailleurs de promouvoir la microfinance et soutient les coopératives féminines. On peut aussi porter à son crédit la manière habile dont il est parvenu à dénouer le contentieux avec la compagnie pétrolière australienne Woodside. Celle-ci était parvenue à obtenir du régime précédent des avenants au contrat d’exploitation des gisements mauritaniens qui lui étaient exagérément favorables. Les deux parties ont fini par trouver un compromis qui satisfait tout le monde
D’ores et déjà, la Mauritanie a obtenu de la Banque Mondiale et du FMI, entre autres, des allègements de sa dette. De l’avis de plusieurs observateurs, la création d’une inspection d’État indépendante, dont la mission est de promouvoir la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption, a permis d’assainir, au moins en partie, le paysage économique.
Qui l’eût cru ? Sidi Mohamed est aussi un amoureux de la poésie. Il lui arrive d’en écrire, à ses heures perdues. Envisage-t-il, un jour, de publier ? Quand il sera à la retraite, peut-être Pour l’instant, il mène la vie spartiate d’un chef de gouvernement, arrive tous les jours à son bureau à 9 heures, sauf contrainte majeure, et n’en repart que lorsqu’il estime que « le travail en suspens peut attendre au lendemain ». Marié à 24 ans, il a quatre enfants dont l’un poursuit des études de mathématiques en France. C’est un homme rangé, à l’univers bien ordonné.
Dans quelques semaines, Sidi Mohamed Ould Boubacar aura achevé sa mission à la tête de la transition, mais pas forcément sa carrière politique. D’aucuns suggèrent qu’il pourrait être tenté de démissionner afin de se porter candidat à la magistrature suprême. « C’est sympa qu’on y pense, s’amuse-t-il. Mais ce serait rompre la promesse faite au peuple mauritanien. Je ne le ferai donc pas. »

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