Kéba Mbaye : un baobab de belle stature

Publié le 21 janvier 2007 Lecture : 3 minutes.

Un bon sens prodigieux et une capacité extraordinaire à tourner des phrases à l’image d’un ouvrier sur son tour ; un puits de connaissances drapé dans une humanité et une simplicité réelles. Tel était le juge Kéba Mbaye, dont l’auteur de ces lignes prenait plaisir à lire les publications avant de faire sa connaissance il y a trois ans. Mais, plutôt qu’un exercice de style conventionnel, le présent hommage voudrait se donner à voir comme un simple témoignage de respect filial.
Kéba Mbaye est né en 1924 à Kaolack, à 200 km de Dakar, la capitale du Sénégal. Toute sa vie aura été un exercice de progression continue sur la voie de l’excellence. Car celui qui allait devenir l’un des plus éminents juristes africains, sinon mondiaux, de notre temps n’avait pas effectué un cursus classique. En effet, il entre à l’école en un temps (colonial) où les jeunes Africains, ne pouvant pas toujours rêver d’études universitaires, se retrouvaient plus souvent orientés vers les écoles qui allaient fabriquer les premières élites de l’Afrique coloniale. C’est ainsi qu’après le diplôme de l’École normale de Dakar, il débute une carrière d’instituteur qui prendra fin quelques années plus tard avec l’obtention du baccalauréat. Muni de ce parchemin, il se met à l’étude du droit qui lui ouvrira les portes de la magistrature et des plus hautes fonctions juridictionnelles : premier président de la Cour suprême du Sénégal, président du Conseil constitutionnel du Sénégal, vice-président de la Cour internationale de justice, président du Tribunal arbitral du sport.
Le mouvement olympique mondial éclaboussé par un certain nombre d’« affaires » ne pouvait trouver en son sein meilleur défenseur du droit et de la morale que le juge Kéba Mbaye à qui sera confiée la présidence de la Commission d’éthique du Comité international olympique en 1999. À propos d’éthique, invité à prononcer la leçon inaugurale de la rentrée académique 2005-2006 de l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, il choisira le thème suivant : « l’éthique, aujourd’hui ». De ce texte inspiré, l’on me pardonnera de citer ce long extrait si topique de l’homme : « Monsieur le Recteur, vous avez parlé de moi avec une gentillesse et une bonté que l’on réserve généralement aux morts. Si je ne connaissais l’affection que vous me portez, j’aurais été tenté de bomber le torse et de tomber dans un narcissisme qui m’a jusqu’à aujourd’hui épargné. Je vais me venger en vous disant tout le bien que je pense de vous. […] Debout pour le travail et pour l’éthique avant qu’il ne soit trop tard. Debout en nous rappelant devant chaque choix, chaque action, la pensée d’Emmanuel Kant. Demandons-nous chaque fois que nous sommes tentés d’avoir un comportement non éthique ce que serait la vie si chacun faisait comme nous. Demandons-nous ce que serait une société de délateurs, de profiteurs, de voleurs, de corrupteurs et de corrompus, d’indisciplinés, d’insouciants, d’égoïstes, de fraudeurs ; la liste est longue, mais la réponse est une : ce serait une société vouée à l’échec et peut-être à la déchéance et à la misère matérielle et intellectuelle. Alors, évitons de tels comportements… »
Homme de justice et homme juste, Kéba Mbaye n’hésitera pas, en 1993, à démissionner de la présidence du Conseil constitutionnel sénégalais au moment des controverses apparues à la suite des élections législatives sénégalaises de cette année. Ceux qui l’ont connu peuvent témoigner de cette foi en l’homme et du monde meilleur auquel il rêvait et à la construction duquel il uvrait modestement par la religion de la justice et du droit. L’homme nous laissera l’image d’un baobab de la plus belle stature, droit, haut et noble comme la norme juridique avec laquelle il faisait corps. Fortement enraciné dans la terre d’Afrique, mais s’élevant toujours vers la voûte de l’universalité à la recherche de la sagesse, avec la justice pour viatique. Dans un temps où tout s’oublie vite et où les valeurs se diluent facilement, l’on se souviendra de Kéba Mbaye comme d’un juriste émérite, et d’un grand Africain.

* Professeur à la faculté de droit et sciences économiques de Libreville.

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