Hommes bleus à l’âme blues
Entre luth et chants de lutte, guitare électrique et messages de paix, les mélopées touarègues résonnent aux confins du Sahara. Et au-delà…
Au Mali et au Niger, les ex-rebelles touaregs ont troqué leurs kalachnikovs contre des guitares électriques. Les bacs des disquaires voient arriver plusieurs albums issus de cette musique touarègue qui a le vent en poupe. Un mélange des genres original qui oscille entre poésie et textes engagés, motifs mélodiques traditionnels et groove hypnotique, rythmes syncopés et riff de guitare. Chez les Touaregs, la tradition musicale tient une grande place et fait véritablement partie de leur identité. Aujourd’hui, c’est plus que jamais une façon de revendiquer leur droit à la liberté et celui de traverser les frontières, qu’elles soient terrestres ou musicales. Il suffit d’écouter quelques notes de ces transes nomades pour être emporté vers les dunes. Qu’ils chantent la paix, l’amour, l’exil ou l’union, ces bluesmen portent en eux leur désert natal. Les Touaregs, disséminés dans six pays africains – l’Algérie, la Mauritanie, la Libye, le Mali, le Niger et le Burkina Faso -, ont longtemps eu une réputation de guerriers téméraires. Ils sont désormais reconnus comme d’excellents musiciens.
L’album Desert Rebel est un concentré d’énergie. Le pilier du projet, Abdallah Oumbadougou, a été le compagnon de route des membres du groupe Tinariwen (voir encadré) lors des rébellions armées des années 1980 au Niger. Le « vieux rebelle du désert », comme on le surnomme, a entraîné dans cette aventure musicale des trublions de la scène française comme Guizmo, le chanteur du groupe Tryo, Daniel Jamet, ancien de la Mano Negra, ou encore le bouillonnant Amazigh Kateb, leader du groupe Gnawa Diffusion et fils de l’écrivain Kateb Yacine. La rencontre s’est faite entre Agadez et Arlit, au Niger, et les premières notes du disque ont été gravées au printemps 2005, avec un studio mobile, autour d’un feu de camp, dans les dunes de l’Aïr. Les textes sont percutants : « 70 litres de flotte par jour en moyenne pour un Occidental/La dalle pour les enfants du Darfour, évidemment pas d’eau potable/Des lettres, des tables de maths, un cerveau pour nos chérubins/La dette, pas d’école, pas de cartable pour le petit Africain. » Desert Rebel, c’est aussi un concept de « culture équitable ». L’idée : amener des artistes du Nord à la rencontre de ceux du Sud, mettre en place un circuit de production et de distribution équitable et transparent. Une partie des recettes doit également servir à mener des actions concrètes sur le terrain.
Chez Toumast (« l’identité », aussi bien individuelle que collective, en langue tamachek), la guitare électrique a des accents déchirants. Le groupe, emmené par Moussa Ag Keyna, vient de sortir son premier album, Ishumar. Les lignes de guitare inspirées du répertoire traditionnel se mêlent avec les chants lancinants touaregs, parfois déchirés par des youyous. Moussa et sa comparse Aminitou y chantent la nostalgie de la vie nomade et le quotidien du campement. La critique sociale et politique affleure et trois musiciens les accompagnent avec basse, percussions et batterie. Si « Ezeref » sonne comme une comptine, « Maraou Oran » se rapproche du phrasé des rappeurs…
Un mélange nourri des multiples vies de Moussa Ag Keyna. Fils de pasteurs nomades, il est né en 1972 dans un campement, au nord de la vallée de l’Azawagh, dans le Tamesna (frontalière nigéro-malienne). En 1987, il rejoint le mouvement politique touareg installé en Libye et qui prépare une offensive armée sur les régions nord du Mali et du Niger. Il intègre la formation militaire du mouvement et, quand il ne s’entraîne pas, il apprend la guitare dans les villes de Sebha, Djanet ou Tamanrasset. Rapidement, il fonde le groupe Toumast et écrit des textes de sensibilisation à la condition de son peuple. En 1990, il rejoint clandestinement le maquis de l’Aïr avec d’autres combattants qui revendiquent les premières attaques du mouvement armé touareg au Niger. En 1993, gravement blessé à la cuisse, il gagne l’Algérie. Malgré six opérations, sa jambe reste paralysée, et il n’en retrouvera que partiellement l’usage en France, où il est évacué en 1994. Après avoir participé à l’aventure musicale Digital Bled, c’est finalement à Paris qu’il enregistre son premier album.
Abacabok, le troisième album du groupe féminin Tartit (« réunies »), est sorti en novembre 2006. Originaires de la région de Tombouctou, ces femmes se sont réunies dans un camp de réfugiés durant la rébellion des Touaregs contre le gouvernement malien pour chanter leurs vies et leurs espoirs. C’est en 1995, lors du Festival Voix de femmes en Belgique, que le groupe prend véritablement son envol. Elles enregistrent leur premier album en 1997, Amazagh, participent à l’album Desert Blues 2/Rêve d’oasis (2002), aux côtés d’Afel Bocoum (considéré comme l’héritier d’Ali Farka Touré) et Habib Koité. Maquillage traditionnel indigo, yeux ourlés de khôl, multiples bracelets, voiles mordorés et voix haut perchées, elles accompagnent leurs chants des instruments traditionnels réservés aux femmes : le tindé (tambour) et l’imzad (sorte de violon). Assises en cercle, elles sont accompagnées par le son du tehardent, sorte de luth utilisé exclusivement par les griots.
« Chez les Touaregs, la musique ne s’apprend pas. Tout le monde en joue. La musique est associée aux jours de fête, ramadan, mariages, baptêmes, et même divorces », explique Fadimata Walette Oumar, surnommée « Disco ». Engagée, elle a monté une association d’entraide féminine. Comme l’explique Andy Morgan, dans le livret joint au deuxième album des Tinariwen : « Les jeunes Touaregs qui ont fui la misère de leur pays pour trouver refuge ailleurs choisirent la guitare électrique parce que sa puissance sonore portait leur message beaucoup plus loin et que ses plaintes parlaient avec éloquence de leur peine. Elle exprimait aussi leur frustration avec leur propre peuple qui languissait dans un sommeil sans âge tandis que le monde s’écroulait autour d’eux. Tinariwen, de Kidal, furent les instigateurs de cette révolution de la guitare. Vingt ans après, leur message continue à s’amplifier ; on l’entend de plus en plus loin de leur désert natal. »
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