De l’aumônier au militant

Publié le 21 janvier 2007 Lecture : 3 minutes.

La première fois que je l’ai rencontré, c’est à la fin des années 1970. Ambassadeur en Guinée, j’avais profité d’un déplacement à Dakar pour découvrir la Casamance, et je voulais vérifier auprès de l’abbé Diamacoune s’il était exact que Sékou Touré, comme l’affirmaient certains, soutenait le séparatisme casamançais. À l’époque, l’abbé exerçait son ministère comme aumônier et n’avait guère encore d’activités militantes ; il m’avait raconté qu’âgé de 5 ans il avait assisté au châtiment de son grand-père par un « sbire sénégalais » qui, sur ordre d’un colonial blanc, lui brûla la barbe parce que le montant de la taxe sur la récolte de riz était insuffisant. Il décrivait la scène avec émotion, les pleurs de sa mère, sa propre terreur, le comportement soumis du grand-père. Quelques années plus tard, après le déclenchement de la rébellion par le MFDC en 1982, considéré comme l’un des meneurs, il sera condamné à cinq ans de prison.

La dernière fois que je l’ai vu, c’était à Paris, à l’hôpital du Val-de-Grâce. Sa mémoire restait exceptionnelle ; il citait, comme il le faisait volontiers, maints faits historiques remontant aux colonisations portugaise et française, démontrant selon lui la justesse de la cause casamançaise, qu’il personnifiait depuis deux décennies. Mais c’est évidemment entre 1996 et 1999 que je l’ai le plus souvent rencontré. Ambassadeur à Dakar, j’avais été chargé, à la demande du président Abdou Diouf et de l’abbé Diamacoune, d’une mission de « facilitation » destinée non pas à travailler à une solution du problème, mais à permettre au gouvernement de Dakar et au MFDC de se rencontrer pour parvenir à un cessez-le-feu.
La difficulté était que le MFDC devait pour cela définir une position unique ; or l’abbé, leader symbolique devenu entre-temps secrétaire général du MFDC, restait confiné à Ziguinchor, en résidence surveillée dans la Maison des uvres catholiques, et n’avait aucun contact avec les chefs des maquis ni avec les responsables de l’aile extérieure (en France, en Italie, en Suisse…). En 1997 et 1998, j’ai pu organiser le voyage en France de quatre de ses proches collaborateurs, qui ont pu se concerter avec l’aile extérieure. Plus tard, j’ai convoyé à Ziguinchor trois représentants de l’aile extérieure (Nkrumah Sané n’avait pas eu assez confiance en moi pour venir, mais une fois, j’ai pu, à Ziguinchor, lui passer l’abbé sur mon téléphone portable).
Lorsque, sous la protection de l’armée sénégalaise, j’ai retrouvé dans le maquis Salif Sadio, je n’ai pu convaincre celui-ci de m’accompagner à Ziguinchor. Et le périple que j’ai fait en compagnie de l’abbé – toujours sous la protection de militaires sénégalais – pour voir ce « général du MFDC » (titre que lui donnait Diamacoune) s’est heurté à l’intransigeance des gardes-frontières de la Guinée-Bissau (pour atteindre le lieu de rendez-vous, il fallait faire un crochet routier par ce pays). L’abbé et Sadio se rencontreront en Gambie en 1999. J’avais en effet obtenu du président gambien, Yahya Jammeh, que les pourparlers entre responsables sénégalais et délégation du MFDC puissent se tenir chez lui.
Finalement, le 22 janvier 1999, l’abbé a accepté de se rendre au palais du gouverneur pour y rencontrer le président Abdou Diouf, présent à Ziguinchor pour l’inauguration de l’Alliance française. Ce premier entretien historique entre le chef d’État et le leader du MFDC allait déboucher sur une série de discussions à Banjul. Diouf a récemment déclaré à La Revue pour l’intelligence du monde que son principal regret était de ne pas être parvenu, avant son départ, à régler la question de la Casamance ; je partage ce sentiment, car, à mon avis, seul le temps nous a manqué. La « facilitation » a été à plusieurs reprises critiquée, contrariée et même sabotée par les « faucons » des deux bords.

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J’ai eu bien d’autres rencontres avec Diamacoune. Ainsi, je me souviens du repas qu’avec des responsables du MFDC, des notables casamançais et des délégués de Dakar nous avons pris en juillet 1997 dans un hôtel de Ziguinchor et où, après un début tendu, soudain inspiré par la musique transmise par haut-parleur, l’abbé s’est mis à chantonner – fort bien, et avec les paroles – des airs de danse musette datant de l’époque de ses études au séminaire ou de ses séjours en Belgique et en France. Ou encore de son émotion lorsque, après l’échec de notre tentative de rencontrer le maquis, je l’ai amené à Ziguinchor en passant au milieu des rizières jusqu’à son village natal (où il n’avait pu se rendre depuis plusieurs années).

* Ancien ambassadeur de France en Guinée et au Sénégal.

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