Al-Qaïda 2007

Publié le 21 janvier 2007 Lecture : 6 minutes.

C’est dans la dernière décennie du XXe siècle qu’al-Qaïda a pris son élan et de la consistance. Au tout début du XXIe siècle, elle est devenue un agent de l’Histoire mondiale.
Aujourd’hui encore, elle est personnifiée par :
– son fondateur, Oussama Ben Laden (d’Arabie saoudite), auréolé de prestige et déjà élevé par certains au rang de légende ;
– et, à un moindre degré, son adjoint Aymen al-Zawahiri (d’Égypte), qui semble chargé de formuler la stratégie de l’organisation et d’en assurer la direction.
Al-Qaïda s’est fait connaître en 1998 en attaquant simultanément les ambassades américaines de Nairobi et de Dar es-Salaam : près de 250 morts, pour la plupart des Africains, victimes innocentes et collatérales d’une action qui visait l’Amérique.

Mais c’est le 11 septembre 2001 qui a rendu al-Qaïda mondialement célèbre. Elle a tenté, ce jour-là et, la chance aidant, a réussi -, l’action terroriste la plus audacieuse (et la plus meurtrière) de l’Histoire.
Contre la plus grande puissance du monde qui, se croyant invulnérable chez elle, dormait sur ses deux oreilles.
Frappés dans les centres vitaux de leurs deux capitales, les États-Unis et leurs dirigeants ont été « sonnés » et même, on peut le dire, déstabilisés. Ils se comportent depuis comme une nation traumatisée et se sont embarqués dans une « guerre mondiale contre le terrorisme », c’est-à-dire principalement contre al-Qaïda.
J’ai écrit ici la semaine dernière que, « mal conçue et mal définie », cette guerre prenait trop souvent les formes de la vengeance et, en tout cas, « métastasait », passant d’un continent à l’autre.

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L’attaque du 11 septembre 2001 contre New York et Washington a fait, en quelques instants, trois mille victimes, pas toutes américaines, loin s’en faut.
Elle n’a coûté à al-Qaïda que quelques dizaines de milliers de dollars mais a nécessité deux années de préparation, pendant lesquelles le secret a pu être gardé, ce qui constitue en soi un exploit.
Mais le monde stupéfait a vu à l’uvre, pour la première fois, une organisation dont les chefs sont capables de planifier, dans le plus grand secret, une opération d’une telle envergure et disposent de nombreux combattants prêts à donner leur vie.
Et, sur un ordre de leurs chefs, à tuer des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants pris au piège dans des avions transformés en bombes volantes ou dans les bâtiments choisis comme cibles.

Parce qu’elle était sans précédent ni équivalent, l’action a fait date et suscité des réactions : elle a révulsé la majorité, mais, secrètement ou au grand jour, certains ont admiré ses auteurs et ses exécutants.
Al-Qaïda, elle, en aura été marquée au fer rouge.

Soixante-quatre longs mois se sont écoulés depuis ce jour charnière du 11 septembre 2001. La « croisade » déclenchée par George W. Bush contre le terrorisme, en réponse à la guerre d’Oussama Ben Laden contre « les Juifs, les croisés et les mécréants », se poursuit, sans qu’on lui voie d’issue à l’horizon.
Les États-Unis ont envahi l’Afghanistan puis l’Irak, dont ils ont renversé les dirigeants pour les remplacer par des hommes qui leur obéissent. À l’exception très notable de Ben Laden, de Zawahiri et de quelques dizaines de cadres, les Américains ont capturé (mis en détention pour une durée indéterminée et réduit à l’état de loques humaines) ou tué les combattants d’al-Qaïda par centaines.
Ils ont transformé leur pays en forteresse et y ont réduit les libertés ; ils ont imposé au reste du monde leurs lois (ou absence de lois) de la guerre.
S’étant proclamé « président de guerre » et « commandant en chef de la lutte contre le terrorisme », George W. Bush a pu se vanter d’avoir réussi à empêcher al-Qaïda de frapper une seconde fois l’Amérique – et s’est fait facilement réélire en 2004

Des actes terroristes meurtriers ont ponctué les 64 mois de cette drôle de guerre : l’Espagne et le Royaume-Uni ont été frappés ; d’autres pays européens affirment avoir déjoué des attentats.
Hors d’Europe, l’Indonésie, le Pakistan, le Maroc, l’Arabie saoudite, la Jordanie, l’Égypte, le Yémen, la Tunisie, pays musulmans mais gouvernés par des hommes qu’al-Qaïda qualifie de « mécréants », ont subi des agressions terroristes. Quant à l’Algérie, elle a vu ses djihadistes résiduels se placer sous l’égide d’al-Qaïda et tenter d’élargir leur champ d’action aux autres pays du Maghreb.
Nous en sommes là en ce 20 janvier 2007.
Dans deux ans, très exactement, ayant achevé son deuxième et dernier mandat, George W. Bush quittera la Maison Blanche ; lui-même et sa présidence auront été façonnés par Oussama Ben Laden, par l’acte fondateur du 11 septembre 2001 et par sa principale conséquence directe : la guerre américaine en Irak.

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Mais al-Qaïda, où en est-elle aujourd’hui ?
L’organisation n’est plus opérationnelle : les hommes et les moyens d’action à la disposition de ses deux principaux dirigeants ne sont plus, en effet, qu’une toute petite fraction de ce qu’ils ont été. Mais que Ben Laden et Zawahiri, dont les têtes ont été mises à prix (très élevé) par les États-Unis dès 2001, n’aient été ni trahis ni, par conséquent, capturés, ou tués, relève du miracle ou de la maladresse américaine.
Ne croyez surtout pas ceux qui susurrent que les Américains ne veulent pas l’élimination des deux chefs d’al-Qaïda parce que, libres et menaçants, ils sont l’épouvantail dont Bush a besoin pour se maintenir au pouvoir, agir à sa guise et, ainsi, dominer le monde ! Al-Qaïda, par ses actes et les déclarations de ses dirigeants, a servi les desseins de Bush, certes, mais, en vérité, il serait le plus heureux des hommes si ses services capturaient ou éliminaient Ben Laden.

Al-Qaïda n’est plus guère opérationnelle, mais elle n’en est pas moins dangereuse, car elle est devenue l’incarnation d’une idée qui traverse les océans, une marque de fabrique qui se décline – et se « franchise » – sur tous les continents. Ses chefs, eux, sont désormais les oracles du djihadisme : ils inspirent de loin et on leur fait allégeance sans même les avoir rencontrés.
Au début des années 1990, al-Qaïda, qui en avait les moyens humains, a été jusqu’à encadrer le FIS algérien et à structurer son aile militaire. Désormais, elle se limite à accepter que le GSPC, avatar des GIA de triste mémoire, lui fasse allégeance – et à lui intimer d’ouvrir les fronts marocain, tunisien et mauritanien pour faire « le Maghreb du djihad ».
L’Arabie saoudite, pays de Ben Laden, l’Égypte, pays de Zawahiri, et la Somalie, pays sans État ni gouvernement, sont, à ma connaissance, avec l’Irak et l’Afghanistan – cas particuliers – les seuls théâtres d’opérations où al-Qaïda s’efforce encore de maintenir une action directe.

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Venons-en au bilan d’al-Qaïda : je ne vois, pour ma part, qu’un très lourd passif à mettre au débit de cette organisation et je dis que le courage de ses combattants, leur abnégation – et leurs souffrances – méritaient d’être mis au service d’une meilleure cause.
1. Choisir comme principal, voire unique, moyen de lutte le terrorisme aveugle, celui qui frappe indistinctement ceux dont le tort est de se trouver au mauvais endroit est moralement inacceptable et, de surcroît, contre-productif.
2. S’affirmer supermusulman et, en même temps, faire de son mieux pour accentuer, ou même provoquer, la discorde entre musulmans, s’employer en particulier à raviver les heurts entre sunnites et chiites est plus qu’un crime : une faute.

Les résultats de ces choix stratégiques sont désastreux et s’étalent sous nos yeux :
Bush et ses néocons en Amérique, Sharon (puis Olmert) en Israël, ont vu leurs pouvoirs légitimés, puis renforcés, par la lutte contre le terrorisme : ils ont pu en toute liberté déclencher des guerres, occuper des pays, bombarder des civils, faire Guantánamo, Abou Ghraib ou Jénine.
Nous avons eu et avons encore, à cause d’al-Qaïda et de ses choix funestes, la pire des Amérique et le pire des Israël : décriés, certes, mais plus forts que jamais.
Quant aux autocrates qui gouvernent les pays arabes, ils doivent, au fond d’eux-mêmes, bénir cette même al-Qaïda qui les traite de « mécréants » et a juré leur perte : elle a fait en sorte de les rendre encore plus utiles à l’Amérique – et de les faire apparaître, aux yeux de leurs peuples, comme ses boucliers contre la menace terroriste

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