À sens unique

La vaste zone de libre-échange se construit au fil du temps. Mais elle profite avant tout aux entreprises européennes.

Publié le 20 novembre 2005 Lecture : 4 minutes.

« L’Union européenne reste le principal partenaire commercial des pays méditerranéens », se réjouit Bruxelles. À première vue, les chiffres le confirment. Plus de 50 % des échanges de la rive sud de la Méditerranée s’effectuent avec l’UE. Pour certains pays, le marché européen représente 70 % de leurs exportations. Première source de financement avec près de 3 milliards d’euros de prêts ou d’aides non remboursables versés annuellement, l’Europe est aussi le principal investisseur étranger (36 %). Mais, passé ces statistiques réconfortantes, le processus de Barcelone n’a pas permis de réduire les écarts de revenus entre les deux rives de la Méditerranée (voir tableau p. 106). « On ne voit pas apparaître nettement les prémices d’une convergence Nord-Sud qui impliquerait que les pays partenaires de l’UE prennent le train des économies émergentes dynamiques, avec des taux de croissance voisins de 7 % », ajoutent Samir Radwan, de l’Economic Research Forum (Égypte), et Jean-Louis Reiffers, de l’Institut de la Méditerranée (France)1.
Le processus de Barcelone vise à construire un ensemble régional dont la logique économique repose sur la mise en place d’une zone de libre-échange Euromed (ZLE). La méthode : un démantèlement progressif des barrières tarifaires et un meilleur accès aux marchés. La feuille de route : des ajustements structurels menés dans les pays du Sud et une dynamisation du secteur privé. Le tout financé par Bruxelles. Dix ans plus tard, le bilan paraît mitigé.
En 2003, la moyenne des droits de douane européens appliqués aux biens industriels est de 17 % pour l’ensemble des pays méditerranéens, contre 10,8 % pour l’Asie, 9,5 % pour l’Amérique latine et 5,2 % pour les dix nouveaux membres de l’Union européenne. L’Algérie, l’Égypte, le Maroc, la Syrie et la Tunisie sont les plus taxés. Israël, le Liban et la Turquie se distinguent positivement. Plus surprenant encore, la baisse des droits de douane profite davantage aux produits en provenance des États-Unis (14,5 % en moyenne).
Concernant le développement supposé des relations commerciales, si, globalement, la part des pays méditerranéens (PM) dans le commerce mondial a augmenté (voir tableau ci-dessus), les termes de l’échange se sont dégradés. L’Union européenne compte pour près de 50 % des échanges extérieurs des PM, alors que ceux-ci ne représentent que 6 % des échanges de l’Union. Ce déséquilibre serait plus accentué sans la flambée des prix pétroliers. Globalement, la balance commerciale des PM reste déficitaire de 12 milliards de dollars avec l’Europe et de 22 milliards avec le reste du monde.
Autre axe jugé prioritaire par le partenariat Euromed, les investissements directs étrangers (IDE). Là encore, le verre serait plutôt à moitié vide. Après avoir franchi la barre des 12 milliards de dollars en 2001, les flux à destination de la rive sud de la Méditerranée ont chuté à 6,2 milliards en 2002, pour remonter à près de 9 milliards en 2003. Pris dans leur ensemble, les PM ne représentent que 5 % des IDE mondiaux pour au final retrouver leur niveau de 1990. Entretemps, la Chine avec ses coûts de production imbattables s’est invitée à la table des grandes puissances. Quant aux entreprises européennes, elles ont en priorité misé sur l’exceptionnel potentiel qui s’est ouvert à l’Est avec l’élargissement de l’UE. En 2004, la situation s’est quelque peu améliorée, grâce notamment à l’engouement pour les réserves en hydrocarbures. Les douze pays partenaires de l’Union européenne (Meda)2 ont capté 400 investissements directs étrangers (IDE), contre 275 l’année précédente. Soit un apport de capital avoisinant 20 milliards d’euros. « Le Maroc, l’Algérie, la Turquie arrivent en tête, et une accélération très sensible peut être observée en Jordanie, au Liban, en Égypte et en Syrie », souligne l’Agence française pour les investissements internationaux (Afii). Outre les projets pétroliers ou gaziers, l’Afii insiste sur la diversité des investissements touchant l’ensemble des secteurs d’activité (logistique, banque, informatique, centres d’appels, industrie de la santé, tourisme, textile, agroalimentaire, grande distribution, industrie de base et immobilier). L’origine de ces investissements est à majorité européenne (55 %), même si leur part diminue au profit, notamment, de l’Amérique du Nord (19 %).
Pour doper le commerce, la solution passe nécessairement par un renforcement de l’intégration Sud-Sud. Malheureusement, ces échanges ne représentent que 5 % du commerce extérieur des pays de la zone. Contentieux inextricables, bouderies entre chefs d’État, susceptibilités de tous ordres, tracasseries administratives, douaniers zélés… les raisons sont nombreuses et la volonté politique a bien du mal à s’affirmer pour remédier à cette situation.
En 1995, les pays partenaires de la Méditerranée se situaient parmi les pays à revenus intermédiaires. Dix ans après, cette position n’a pas évolué, avec un PIB par habitant de 4 780 dollars contre une moyenne de 5 800 dollars dans cette catégorie. Quant à l’écart avec les habitants de l’Union européenne, il n’a cessé de se creuser. Le processus de Barcelone demeure une belle idée. Mais sa mise en oeuvre mérite certainement un coup d’accélérateur.

1. Rapport 2005 du Forum euroméditerranéen des instituts économiques (Femise) : « le partenariat euro-méditerranéen, dix ans après Barcelone : acquis et perspective ». www.femise.org
2. Meda concernait à l’origine les pays suivants : Algérie, Chypre, Égypte, Israël, Liban, Malte, Maroc, Autorité palestinienne, Syrie, Tunisie, Turquie. Chypre et Malte ont depuis rejoint l’UE.

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